Psychologie Évolutionniste (2): fondements théoriques

“Natural selection is an engineer that designs organic machines.”

(Tooby & Cosmides 2016, p. 22)

Cet article est dédié à la présentation des fondements théoriques de la psychologie évolutionniste, ainsi que de leurs limitations. Il représente la version longue d’un article beaucoup plus court et plus digeste qui vulgarise l’ensemble des concepts présentés ici, afin de se les approprier plus rapidement. Le présent article s’inscrit dans une série d’articles étudiant plusieurs aspects de cette discipline : sur la récupération de sa légitimité scientifique dans le discours conservateur (article 1), sur ses fondements théoriques et leurs limitations (cet article), sur la portée descriptive de son discours (article 3, à paraitre), et enfin sur l’émergence et l’institutionnalisation de ce champ (article 4, à paraitre).

Le propos est de dresser un état des lieux et d’offrir des ressources documentées pour les personnes susceptibles d’être intéressées par suivre les débats où cette discipline est invoquée, souvent comme un argument d’autorité. Nous avons en effet montré dans le premier article de cette série que, dans la sphère publique, les arguments basés sur l’influence de l’évolution sur les comportement humains ne sont pas tant des arguments scientifiques que des arguments rhétoriques pour gagner en légitimité et en autorité dans les débats. Pour ne plus être démuni face à ce genre d’arguments d’autorité, le présent article se propose de fournir les outils conceptuels pour comprendre les fondements théoriques de la psychologie évolutionniste ainsi que leurs limitations, et pour mieux la situer dans le champ scientifique.

Nous montrerons en particulier— à l’aide de la bibliographie librement consultable en fin d’article — que la psychologie évolutionniste est une discipline dont les fondements théoriques sont largement contestés et qui, bien que se prétendant de la légitimité scientifique de la biologie et des sciences cognitives, n’en respecte pas pour autant les standards de scientificité. De plus les critiques les plus fortes adressées par les biologistes de l’évolution et les chercheur·ses en sciences cognitives ne semblent en réalité par être prises en compte par les psychologues évolutionnistes, laissant penser que la discipline refuse d’actualiser ses fondements théoriques qui entrent en contradiction avec les consensus établis en sciences cognitives et en biologie de l’évolution. Dans son état actuel, si la psychologie évolutionniste ne répond pas avec rigueur aux objections que ces sciences lui opposent, elle prend le risque de s’isoler de plus en plus au point de former un îlot disciplinaire autonome mais sans réelle attache avec les sciences dont elle se réclame.

Avertissement au lectorat : nous avons voulu retransmettre le plus fidèlement possible l’argumentation des psychologues évolutionnistes, et la resituer plus largement dans les cadres théoriques dont iels se réclament. Il est donc tout à fait possible que certains passages choquent les chercheur·ses de sciences cognitives et de biologie évolutive. Nous nous excusons par avance de ce sentiment bien légitime mais gardez bien en tête que ces passages représentent le discours de la psychologie évolutionniste et non une mauvaise traduction par moi Kumokun votre humble serviteur vêtu de moutarde. D’autre part par manque de place nous n’avons pas pu aborder dans cet article des notions fréquemment utilisées en psychologie évolutionniste : valeur sélective inclusive, théorie des histoires de vie, causes distales vs causes proximales, culture transmise vs culture évoquée, stratégies évolutionnairement stables, plasticité phénotypique, etc. Il était bien entendu impossible (voire même hors de propos) de présenter toutes ces notions, qui sont secondaires par rapport aux fondements théoriques de la discipline sur lesquels nous devions nous concentrer. Nous recroiserons sans nul doute la route de certains de ces concepts dans les articles à venir. Encore une fois, rappelons que le présent article est très long et qu’il est vivement conseillé, pour les personnes qui n’auraient pas le temps ou la motivation, de se reporter à la version vulgarisée, beaucoup plus courte et digeste.

Table des matières

  1. Panorama général de la psychologie évolutionniste
  2. La modularité massive en question
  3. L’adaptationnisme en question
  4. Un certain vernis de scientificité
  5. Conclusion

Panorama général de la psychologie évolutionniste

Positionnement dans le champ scientifique

La psychologie évolutionniste est historiquement issue du rapprochement de la psychologie expérimentale avec les sciences du comportement animal conset les sciences cognitives humaines à la fin des années 1980 (Symons 1992, Tooby & Cosmides 1992, Buss 2019, Walter 2020). La première occurrence du terme semble apparaître au milieu des années 1980 (Tooby 1988), mais l’acte créateur de la discipline est la parution en 1992 de l’ouvrage collectif The Adapted Mind: Evolutionary Psychology and the generation of culture (Barkow et al. 1992). La psychologie évolutionniste se présente comme une refondation radicale de la science psychologique, en lui conférant une orientation cognitiviste et adaptationniste qu’elle n’avait pas jusqu’alors. Ainsi, l’idée que certaines facultés comportementales sont présentes dans le cerveau à la naissance vient autant de l’éthologie animale (Lorenz 1965, Tinbergen 1963), de sa généralisation au comportements animaux et humains dans la synthèse qu’on a appelé l’écologie comportementale ou sociobiologie (Wilson 1975), que des avancées dans le champs des sciences cognitives, notamment amenées par la linguistique (Chomsky 1957) et par les nouvelles théories sur la modularité de l’esprit (Marr 1982, Fodor 1983).

En arguant de ces rapprochements théoriques issus d’un vaste spectre disciplinaire, les psychologues évolutionnistes revendiquent le fait que la psychologie est en réalité une science dérivée de la biologie et doit donc nécessairement intégrer la théorie de l’évolution de Darwin et considérer les mécanismes psychologiques comme des adaptations. En s’appuyant sur les travaux d’évolutionnistes visant à ancrer les comportements à la sélection naturelle (Hamilton 1964, Williams 1966, Trivers 1971, Trivers 1972, Maynard Smith 1982), les psychologues évolutionnistes mirent en place un programme de recherche visant à étudier les comportements humains qu’iels proclament être le premier qui soit cohérent et en accord avec les données biologiques (Buss 2019). Il est cependant important de rappeler que le champ de la psychologie dans son ensemble ne saurait se ramener à la seule psychologie évolutionniste, puisqu’il existe d’autres courants — psychologie cognitive, psychologie sociale, etc. — qui sont plus anciens et de ce fait certainement mieux établis. La psychologie évolutionniste n’a émergé que récemment et ne reste pour l’instant qu’une branche (réduite) parmi d’autres de la psychologie. Rappelons d’autre part que la psychologie évolutionniste n’a pas le primat de la prise en compte des déterminants évolutifs dans la psychologie humaine (Scher & Rauscher 2003). Ces raisons font que la psychologie évolutionniste est en réalité relativement marginale dans le champ de la psychologie.

La psychologie évolutionniste est une discipline étudiant les comportements mais qui se pense comme étant une science de la nature. Cela se mesure à plusieurs niveaux : les hypothèses qu’elle invoque sont issues des sciences cognitives et de la biologie évolutive, les méthodes qu’elle utilise sont principalement celles de la psychologie expérimentale (ainsi que d’autres méthodes anthropologiques et archéologiques). D’autre part, les psychologues évolutionnistes revendiquent régulièrement pour leur discipline certaines propriétés que partageraient toutes les sciences de la nature : réductionnisme, unicité théorique, falsifiabilité… La psychologie évolutionniste serait d’après elleux une science à la portée universelle comme les autres sciences de la nature : synthèse intégratrice de toutes les sciences de l’homme, dont le but serait ultimement de révéler et de décrire le contenu de la “nature humaine” (Tooby & Cosmides 2016).

Extrait de l’introduction de l’ouvrage fondateur “The Adapted Mind: Evolutionary Psychology and the generation of culture” (Barkow et al. 1992, p. 5).

C’est à partir de ce bref aperçu de ce qu’est la psychologie évolutionniste que nous progresserons dans le présent article : nous étudierons en premier lieu les aspects cognitifs de la discipline, et notamment l’hypothèse de la modularité massive de l’esprit, qui est fondamentale pour justifier que les comportements puissent être des adaptations. Nous étudierons ensuite plus précisément cet adaptationnisme affiché en nous penchant sur les arguments invoquées par les psychologues évolutionnistes ainsi leurs critiques. Enfin, nous questionnerons les revendications philosophiques de la psychologie évolutionniste à s’identifier à une science de la nature, ce qui conduira nécessairement à interroger la légitimité scientifique dont elle se revendique.

Dans cet article, nous n’aborderons pas les deux aspects suivants de la discipline, qui méritent d’être étudiés dans leurs articles propres : la prétention de l’évopsy à décrire les comportements sociaux, au point de vouloir remplacer in fine les explications issues de l’anthropologie et de la sociologie (article 3, à paraître), et la question très intéressante de son institutionnalisation en tant que discipline universitaire : par qui est-elle reconnue comme légitime, et comment expliquer ce phénomène si ses fondements sont si fragiles scientifiquement (article 4, à paraître) ?

Tenants et aboutissants de la psychologie évolutionniste

La psychologie évolutionniste n’est en réalité qu’une discipline (cependant non minoritaire) parmi toutes les théories évolutionnaires du comportement — animal autant qu’humain. Elle fait partie d’un paysage disciplinaire segmenté selon les méthodes et les objets d’étude : écologie comportementale humaine, anthropologie évolutionnaire, génétique comportementale, etc. Parmi toutes ces approches, la psychologie évolutionniste a la particularité d’être présentée par ses défenseurs et défenseuses comme la forme la plus aboutie de ces théories (Tooby & Cosmides 2016). Elle se distingue des autres disciplines sus-citées par ses hypothèses et ses prétentions unificatrices plus fortes : les autres approches évolutionnaires du comportement seraient en quelque sorte des disciplines dérivées de la psychologie évolutionniste. Étant donné ce statut particulier et sa récupération massive dans le discours conservateur, il nous a semblé important de focaliser notre attention sur cette discipline.

Définition 1. La psychologie évolutionniste (ou évopsy) est une approche cognitiviste et nativiste des comportements humains, qui s’appuie sur les principes suivants :

  1. (modularité massive) l’esprit est constitué d’algorithmes cognitifs fonctionnellement spécialisés et relativement autonomes entre eux, et dépendant chacun d’un ensemble spécifique de stimuli pour s’exécuter,
  2. (adaptationnisme) les comportements humains sont le produit de tels algorithmes cognitifs, qui auraient été sélectionnés parce que leur fonction résolvait les problèmes de survie et de reproduction auxquels étaient confrontés nos ancêtres dans leur environnement préhistorique.

La tâche centrale de la psychologie évolutionniste est de découvrir, décrire et expliquer la nature de ces mécanismes comportementaux.

(Tooby & Cosmides 1992, Buss 1995, Tooby & Cosmides 2016, Buss 2019).

Avant toute chose nous allons expliciter les termes de cette définition. Le cognitivisme est le paradigme principal des sciences cognitives, qui stipule que l’esprit humain est un système de traitement de l’information (ou plus précisément une machine de Turing), qui transforme des inputs en outputs à l’image des algorithmes dans un ordinateur (Steiner 2005, Thagard 2019). Les sciences cognitives ont émergé à partir des années 1950 et se revendiquent dès le début comme un champ interdisciplinaire, au croisement de l’intelligence artificielle, de la philosophie de l’esprit, de la linguistique, de la psychologie et des neurosciences, etc. Le paradigme cognitiviste a été largement influencé par les débuts de la cybernétique et de l’informatique (Chamak 2011), ce qui explique qu’il incorpore un modèle computationnaliste du fonctionnement de l’esprit, qui interprète ce dernier comme un système de traitement d’information (Richards 2018). Le paradigme cognitiviste a été contesté et éventuellement complété par d’autres paradigmes, dont notamment le paradigme connexionniste qui considère les phénomènes mentaux comme des processus émergents, issus par exemple de l’assemblement de plusieurs unités simples (comme dans un réseau de neurones) (Rumelhart et al. 1986, McClelland et al. 1986, Fodor & Pylyshyn 1988). Il existe aussi d’autres paradigmes — l’énactivisme et la cognition incarnée — plus orientés sur l’interaction entre l’esprit des individus et le milieu extérieur ou sur son ancrage métabolique, et qui de se fait s’opposent assez largement à l’approche cognitiviste classique (Stewart et al. 2010, Varela et al. 2016). Ainsi, les sciences cognitives forment un champ scientifique largement hétérogène, peut être trop marqué par l’interdisciplinarité qui lui est consubstantielle pour pouvoir atteindre la cohésion institutionnelle et intra-théorique dont elles auraient pu vouloir se réclamer par le passé (Núñez et al. 2019).

En sciences cognitives, la position théorique — le computationnalisme — qui considère que le cerveau est un calculateur (ou plus explicitement une hmachine de Turing) sert plutôt à définir des contraintes sur le fonctionnement du cerveau et le type de problèmes qu’il peut résoudre (Zylberberg et al. 2011). Nous verrons cependant que l’analogie entre le fonctionnement de l’esprit humain et celui d’un ordinateur est prise au pied de la lettre dans les principaux textes de psychologie évolutionniste. Ce faisant, les psychologues évolutionnistes vont ainsi pouvoir justifier que les comportements humains peuvent être considérés comme des outputs produits par des algorithmes cognitifs spécialisés — ou modules — à partir d’inputs spécifiques, issus de l’environnement (point 1. de la Définition 1.). Les psychologues évolutionnistes dressent régulièrement l’analogie entre les modules cognitifs et les organes du corps humain : ils auraient chacun une fonction et auraient été sélectionnés précisément pour leur fonction (Tooby & Cosmides 1992).

Les psychologues évolutionnistes appellent “mécanisme psychologique évolué” une adaptation cognitive (modulaire) qui traite les informations de façon spécifique : en fonction de certains inputs en entrée, un algorithme cognitif produit des outputs, ceux-ci pouvant être un comportement. Les psychologues évolutionnistes parlent d’adaptation car pour elleux ce comportement aurait servi à résoudre un problème de survie ou de reproduction spécifique qui s’est présenté de manière récurrente dans l’histoire évolutionnaire de l’humanité, et aurait ainsi été le produit de la sélection naturelle (Buss 2019, p158).

Cela permet ensuite de considérer que les états mentaux sont le produit de modules cognitifs au même titre que les fonctions métaboliques sont le produit d’organes, et de justifier qu’à l’image du foie, du coeur ou de l’oeil, ces algorithmes cognitifs auraient été sélectionnés parce qu’ils ont remplit une fonction adaptative, à l’époque où nos ancêtres étaient confrontés à certains problèmes posés par leur environnement naturel ou social, notamment au Pléistocène (point 2. de la Définition 1.). On parle dans ce cas de problème adaptatif, qui peut être défini comme un problème évolutif récurrent — c’est à dire stable dans le temps et sur une durée assez longue — dont la solution a favorisé la reproduction. La démarche des psychologues évolutionnistes est donc de comprendre ces problèmes ancestraux pour essayer de déduire quels pourraient être les comportements qui auraient été sélectionnés, c’est à dire ce qu’on pourrait considérer comme étant des “adaptations comportementales” (Tooby & Cosmides 1992).

Cette vision adaptationniste des comportements humains n’est rendue possible qu’à la condition de considérer que l’architecture cognitive humaine est un produit de l’évolution par la sélection naturelle. Les psychologues évolutionnistes soutiennent donc les deux conditions nécessaires suivantes : 1) l’architecture cognitive, ainsi que son évolution au cours de la vie, est déterminée par l’information portée par les gènes, et 2) les comportements humains sont l’expression manifeste des outputs issus des modules cognitifs structurant cette architecture (Tooby & Cosmides 1992). En effet, c’est à ce prix qu’un comportement procurant un avantage évolutif pourra être sélectionné sur le long terme, puisque ce sera en fait le module cognitif sous-jacent qui sera sélectionné (puisqu’il aura produit le comportement) (Woodward & Cowie 2004). On qualifie de nativiste (ou innéiste) cette approche des comportements humains (Poirier et al. 2005).

Attention cela ne veut pas dire que les comportements sont inscrits dans les gènes, mais plutôt que l’esprit serait codé génétiquement de telle manière que les comportements humains sont l’expression phénotypique de l’héritage génétique humain, i.e. qu’ils sont le produit de l’interaction de l’environnement avec la structure cognitive codée génétiquement (Barrett & Kurzban 2006). Les inputs reçus de l’environnement seraient processés par les modules cognitifs qui produiraient des comportements en sortie. Lorsque le type d’input change, le comportement en sortie change en fonction de la dépendance des algorithmes cognitifs à la variation des stimulis en entrée. La psychologie évolutionniste n’est donc en aucun cas contradictoire avec la coexistence de plusieurs sociétés aux cultures différentes : elle s’en accommode au contraire très bien puisqu’elle prétend faire sens de cette variation culturelle sous une théorie comportementale unifiée de l’être humain. La psychologie évolutionniste a donc des prétentions à l’universalité, et revendique régulièrement comme un de ses objectifs de révéler et d’expliquer la “nature humaine”.

L’universalité des processus cognitifs complexes qui engendrent les comportements humains seraient pour les psychologues évolutionnistes la preuve qu’il existe une “nature humaine” (Hagen 2016, p. 137).

Nous avons donc explicité tous les termes de la Définition 1. Rappelons que la psychologie évolutionniste n’est qu’une approche (cependant non minoritaire) parmi d’autres approches évolutionnaires du comportement humain (génétique comportementale, écologie comportementale humaine, anthropologie évolutionnaire, etc.) — qui diffèrent toutes dans leur rapport à la théorie de l’évolution — mais c’est celle qui se veut la plus fondamentale et intégratrice vis à vis des sciences de la nature (Tooby & Cosmides 2016). Malheureusement en anglais le nom “evolutionary psychology” est souvent invoqué pour qualifier indifféremment toutes ces approches évolutionnaires du comportement humain. Pour différencier la psychologie évolutionniste telle que décrite dans la Définition 1. des autres approches évolutionnaires mentionnées ci dessus, les psychologues évolutionnistes ainsi que les philosophes de la biologie ont pris l’habitude de désigner la psychologie évolutionniste en utilisant des majuscules : “Evolutionary Psychology”, ou “EP” (Buller 2005, Downes 2020). À l’avenir nous ferons toujours référence à la Définition 1. lorsque nous parlerons de psychologie évolutionniste.

Lorsque des critiques sur les hypothèses de fond de leur discipline (la modularité massive et l’adaptationnisme) se font jour, beaucoup de psychologues évolutionnistes ont tendance à en relativiser la portée en se réfugiant derrière le fait que ces hypothèses ne sont pas utilisées au quotidien dans la recherche en évopsy, et qu’elles ont plutôt historiquement servi à “cadrer” la discipline, à en poser les bases (Littlefoot 2019). Or ne pas utiliser explicitement une hypothèse fondamentale n’induit en rien que cette hypothèse n’est pas au coeur de l’appareil conceptuel utilisé au quotidien par les chercheur·ses. Par exemple : un physicien ou une physicienne relativiste ne va pas systématiquement invoquer le principe de relativité généralisée pour mener à bout ses calculs, pourtant iel en utilisera fréquemment une de ses implications immédiates : le fait que les lois physiques sont covariantes sous difféomorphismes.  L’objection des psychologues évolutionnistes selon laquelle la modularité massive et l’adaptationnisme ne seraient pas des éléments théoriques fondamentaux de la discipline est d’autant plus infondée qu’on observe que ces mêmes psychologues évolutionnistes qui niaient se référer à ces hypothèses lorsqu’on les questionne dessus, y font néanmoins régulièrement référence (dans leurs cours, dans leurs travaux, ou dans les laboratoires) lorsqu’iels ne se sentent plus en danger. Cette stratégie rhétorique est qualifiée de “motte-and-bailey” : lorsque deux positions sont volontairement confondues, une première qui est facile à défendre (comme une motte castrale) et une autre qui est plus audacieuse et difficile à défendre (sa basse-cour associée, ou bailey en anglais). On occupe la seconde tant que faire ce peut, mais on remonte dans le donjon, plus facilement défendable, dès qu’on est attaqué sur certains points précis. En se déplaçant ainsi sur des lieux rhétoriques imprenables lorsqu’on est critiqué, on peut donner l’impression que l’idée que l’on promouvait jusqu’ici sans grande précaution est très solidement justifiée. L’argument de dire qu’il existe une psychologie évolutionniste “forte” et une psychologie évolutionniste “faible”, de ne jamais se revendiquer explicitement de la forte — voire de la présenter comme une version déraisonnable — mais de la promouvoir en fait dans ses productions intellectuelles, relève de cet argument rhétorique.

La modularité massive en question

Modules et architecture cognitive

Les psychologues évolutionnistes ont une vision computationnaliste forte de l’esprit : il se comporterait comme un ordinateur, avec des dispositifs cognitifs de traitement de l’information semblables à des algorithmes, pour certains installés dès la naissance, et pour d’autres qui se développent tout au cours de la vie comme d’autres organes du corps humain (Tooby & Cosmides 1992, 2015). Cette vision est une spécificité de la discipline, puisque bien que l’analogie entre le fonctionnement du cerveau et celui d’un ordinateur est consubstantielle au paradigme cognitiviste (Steiner 2005, Thagard 2019), les sciences cognitives l’utilisent comme heuristique pour voir le cerveau comme un système de traitement de l’information, ou plus précisément une machine de Turing (Richards 2018). L’analogie entre cerveau et ordinateur n’a pas échappé aux psychologues évolutionnistes qui s’inscrivent totalement dans ce paradigme : iels considèrent que l’esprit humain accueille des stimuli internes ou externes en entrée (inputs), les analyse et les interprète, puis renvoie en sortie des outputs, qui sont ensuite éventuellement traduits en procédures métaboliques et comportementales, sur le modèle d’un programme informatique (Tooby & Cosmides 1992, Buss 1995).

Le modèle computationnaliste en sciences cognitives considère que le fonctionnement du cerveau est similaire à celui d’un ordinateur. Cette analogie est prise au pied de la lettre par les psychologues évolutionnistes, qui utilisent cet argument pour arguer ensuite que les comportements sont le produit d’algorithmes cognitifs sur lesquels la sélection naturelle a agi (Cosmides et al. 1992, p. 8).

Avant d’aller plus loin, soulignons d’abord la différence entre cerveau (brain en anglais) et esprit (mind en anglais), tels qu’il sont considérés dans les sciences cognitives. Le cerveau consiste en le support physique de l’esprit, qui représente le medium qui processualise les informations. Le paradigme cognitiviste énonce que l’esprit n’est pas strictement équivalent au cerveau : les algorithmes de traitement de l’information sont plutôt définis par leur fonction, plutôt que par leur implémentation physique (Steiner 2005). Cela est souvent souligné par les psychologues évolutionnistes qui revendiquent régulièrement l’analogie entre ces algorithmes cognitifs et les organes du corps humain pour justement mieux dresser cette analogie fonctionnelle. À leurs yeux les fonctions de ces algorithmes, étant susceptibles d’avoir évolué par le truchement de la sélection naturelle, sont précisément l’objet d’étude de leur discipline, qui relève donc bien des sciences cognitives et de la psychologie (Barrett & Kurzban 2006, Boyer & Barrett 2016).

C’est d’ailleurs à ce titre que les psychologues évolutionnistes n’hésitent pas à défendre certaines hypothèses sur le fonctionnement de l’esprit qui servent leurs intérêts, bien qu’elles soient éminemment controversées dans le champ des sciences cognitives. Ainsi iels soutiennent l’idée selon laquelle l’esprit est organisé en une multitude de dispositifs de traitement de l’information qui se caractérisent par leur fonction propre, ainsi que par le domaine des stimulis par lesquels ils sont activés : on les nomme des modules.

Définition 2. Un module est un dispositif cognitif satisfaisant la plupart des critères suivants (la liste dépend des auteurices) :

  1. spécialisé dans l’accomplissement d’une tâche (functional specialization)
  2. activé de manière sélective par certains inputs précis (domain specificity)
  3. traitant les informations de manière algorithmique (mandatory operation)
  4. dont la communication avec d’autres modules est limitée (informational encapsulation)
  5. produisant des outputs de bas niveaux cognitif (shallow outputs).

(Fodor 1983, Sperber 1994, Tooby & Cosmides 1994, Fodor 2000, Barrett & Kurzban 2006, Frankenhuis & Ploeger 2007)

La notion de module a été introduite au début des années 1980 par le philosophe de l’esprit Jerry Fodor (Fodor 1983), pour rendre compte des performances cognitives que les théories behaviouristes ne pouvaient pas expliquer. La première définition de Fodor contenait neuf critères, qu’il a ensuite affaiblis ou abandonnés en se focalisant principalement sur l’idée de domain specificity et surtout celui d’informational encapsulation (Fodor 2000, Sperber 2005). Pour mieux comprendre ces deux notions, on peut utiliser la métaphore d’un tube dont l’embouchure a une certaine forme, où les inputs qui s’emboitent bien rentrent d’un côté, le traversent sans communiquer avec l’extérieur, et où les outputs sortent à l’autre extrémité. Le fait qu’il y ait des modules dans l’esprit ne fait absolument pas débat en sciences cognitives, puisqu’on connait des tâches (de bas niveaux) qui prouvent manifestement leur existence (Marr 1982). Par contre, c’est la définition de ce que sont les modules, le type d’informations qu’ils processent et produisent, ainsi que l’étendue de leur présence dans l’esprit (= la modularité) qui soulèvent souvent les dissensions (Barrett & Kurzban 2006, Frankenhuis & Ploeger 2007, Samuels 2012). Pour donner un exemple, de récentes avancées en sciences cognitives observent que l’apparence d’un module ne serait en fait qu’un artefact engendré par de simples processus stochastiques (Parr et al. 2020).

Les psychologues évolutionnistes s’inscrivent en décalage avec ce qui se voit en sciences cognitives puisqu’iels adoptent une position radicale qui est largement contestée. Déjà, iels ne souscrivent pas totalement à la caractérisation Fodorienne des modules, et contestent même complètement le fait qu’un module ne puisse produire que des outputs de bas niveau. Cela ne poserait en soi pas de problème s’iels ne feraient pas l’hypothèse que la plupart des comportements humains, ainsi que le fonctionnement général de l’esprit — qui sont donc des tâches de haut niveau cognitif — seraient aussi le fait de modules cognitifs. Finalement, et c’est là l’hypothèse la plus lourde de conséquences, iels considèrent que l’esprit serait en fait majoritairement constitué de modules. L’hypothèse selon laquelle l’architecture cognitive de la majeure partie de l’esprit serait modulaire est désignée sous le nom de modularité massive de l’esprit (Sperber 1994, Tooby & Cosmides 1994, Sperber 2005). Le fait que les psychologues évolutionnistes invoquent l’activité des modules comme moteur principal du fonctionnement de l’esprit a plusieurs raisons que nous allons présenter.

Les psychologues évolutionnistes soutiennent l’hypothèse de la modularité massive pour deux raisons : 1) justifier que les comportements humains puissent être sélectionnés, 2) mettre à distance leur ennemi principal : le supposé “blank-slatisme” des sciences sociales. Concernant le premier point, les psychologues évolutionnistes utilisent l’argument selon lequel la sélection naturelle pourrait favoriser la modularité en biologie (Schlosser & Wagner 2004), et inversement que la modularité est une condition nécessaire à l’évolutivité (Wagner & Altenberg 1996), pour ensuite affirmer que les modules cognitifs ainsi sélectionnés l’ont été parce que les comportements qu’ils induisaient répondaient à une fonction évolutive (Tooby & Cosmides 1994). L’hypothèse de la modularité massive sert donc les visées adaptationnistes — qu’on pourrait même qualifier de fonctionnalistes — de la discipline (Lloyd & Feldman 2002).

Définition des mécanismes cognitifs, tels que pensés par la psychologie évolutionniste. Cette citation apparaît de manière identique dans toutes les éditions du manuel acclamé de David Buss : “Evolutionary Psychology: The new science of the mind” (Buss 2019). Elle se trouve dans la conclusion de la première partie.

Concernant le second point, on retrouve en effet dans beaucoup de textes de psychologues évolutionnistes cette volonté de se distinguer des conceptions de l’esprit qui reposeraient sur l’idée qu’une grande partie de l’esprit est dédiée au traitement général des stimulis entrants, sans justement qu’ils soient traités indépendamment par des modules spécifiques. Cette architecture cognitive, qu’on appelle de type domain general, n’est à leurs yeux qu’une reformulation de l’idée de la tabula rasa c’est à dire l’idée que nous naîtrions avec une ardoise blanche (blank slate en anglais) à la place de l’esprit, et que tout nos comportements ne seraient que le produit de notre socialisation. Les psychologues évolutionnistes qualifient cette idée de nuisance scientifique ayant séduit les instincts politiquement corrects des sciences sociales biophobes, dont l’état de délabrement ne peut être contenu qu’à l’aide de la psychologie évolutionniste, seule science qui serait à même d’unifier étude du comportement humain et rigueur scientifique (Tooby & Cosmides 1992, 2015, Pinker 2002).

Les justifications de la modularité massive

Les psychologues évolutionnistes sont donc nécessairement porté·es vers la défense de la modularité massive, car adopter une position plus mesurée serait implicitement accepter qu’au moins une partie de l’esprit — et notamment celle gérant les tâches cognitives les plus complexes — est de type domain general, ce qui n’est pas compatible avec leur volonté de revendiquer leur proximité avec la théorie de l’évolution, et dans le même temps de se distinguer des sciences sociales. Ces raisons expliquent cet acharnement des psychologues évolutionnistes qui sont pratiquement les seules personnes dans le champ des sciences cognitives à défendre la modularité massive (Shapiro & Epstein 1998, Samuels 2012). Cela se reflète dans leur conception des modules cognitifs, qui diffère légèrement de celle de Fodor. En effet, pour les psychologues évolutionnistes, les propriétés fondamentales qui caractérisent les modules cognitifs sont avant tout la fonctional specialization et en second lieu la domain specificity, qu’iels interprètent parfois comme une simple conséquence de la première (Barrett & Kurzban 2006, Frankenhuis & Ploeger 2007). Ces deux propriétés seraient à leurs yeux des caractéristiques nécessaires au fait que la sélection naturelle ait pu s’appliquer sur les comportements humains. Elles justifieraient le fait que la modularité massive soit une théorie de la cognition pertinente et fondée :

Proposition 1. Selon les psychologues évolutionnistes, la modularité massive de l’esprit est justifiée pour les raisons suivantes :

  1. L’évolution d’un système biologique complexe n’est possible qu’à la condition d’être décomposable en sous-parties fonctionnelles relativement indépendantes sur laquelle la sélection naturelle peut agir (evolvabilité);
  2. Un esprit de type domain general ne pourrait pas fonctionner car le calcul des issues comportementales possibles face à une situation donnée demanderait trop de ressources cognitives (explosion combinatoire);
  3. L’architecture cognitive à même de répondre aux problèmes adaptatifs auxquels étaient confrontés les humains il y a des millions d’années ne pouvait être que de type domain specific, et a donc été sélectionnée pour cela (task specificity).

(Tooby & Cosmides 1994, Barrett & Kurzban 2006, Frankenhuis & Ploeger 2007, Robbins 2017)

On peut préciser avant toute chose que ces arguments sont des arguments essentiellement spéculatifs. Les preuves empiriques soutenant l’hypothèse de la modularité massive de l’esprit restant relativement inexistantes (Robbins 2013), le débat reste confiné dans ce qui semble être une bataille d’arguments et de contre-arguments (Barrett & Kurzban 2006). C’est d’ailleurs un philosophe de l’esprit, Peter Carruthers, qui a fourni la présentation la plus solide de l’hypothèse de la modularité massive de l’esprit (Carruthers 2006). Deuxièmement, c’est une position qui est minoritaire en sciences cognitives car largement battue en brèches (Robbins 2017, Samuels 2006). Car, bien que cela ne fasse pas débat que certaines tâches de plus bas niveau soient modulaires au sens de Fodor — et notamment en périphérie de l’esprit pour la réception et le traitement des stimulis extérieurs, il n’y a aucune preuve empirique appuyant l’hypothèse selon laquelle l’esprit serait massivement modulaire — il existe même de solides contre-arguments que nous verrons plus bas (Samuels 2012, Huang 2019, Rich et al. 2020).

Pour les psychologues évolutionnistes, le premier argument justifiant l’hypothèse de la modularité massive — l’évolvabilité — invoque implicitement une analogie entre l’architecture de l’esprit et l’anatomie du corps humain. Cette analogie, qui est récurrente en psychologie évolutionniste, s’appuie sur l’idée que les systèmes biologiques complexes ne peuvent évoluer par sélection naturelle que s’ils sont organisés de façon modulaire. Par exemple les organes du corps humain ont pu être ainsi sélectionnés les uns indépendamment des autres à mesure que leur fonction augmente l’adaptativité de l’individu (Tooby & Cosmides 1994, Orzack & Forber 2017). La notion de module en biologie de l’évolution est bien acceptée bien qu’elle admette de nombreuses définitions selon la branche dans laquelle elle est mobilisée (Bolker 2000). La vision modulaire du corps humain (qui voit le tout comme la somme des parties) reste néanmoins controversée en biologie (Gould & Lewontin 1979). D’autre part rien ne justifie a priori que l’esprit soit subdivisé en sous parties à la manière dont le corps est subdivisé en organes. C’est pour résoudre cette aporie que la notion de functional specialization des modules cognitifs est cruciale pour les évopsys (Barrett & Kurzban 2006, Ermer et al. 2007), puisqu’elle permet d’affirmer qu’un module — au même titre qu’un organe — se définit avant tout par sa fonction. Avec cette propriété, les psychologues évolutionnistes peuvent justifier que l’analogie entre les organes et les modules cognitifs est fidèle et valable, et donc que la sélection naturelle s’applique aux uns comme aux autres.

Ainsi, le pendant des organes physique qui sont spécialisés dans une fonction métabolique devrait se traduire dans l’esprit par l’existence de modules spécialisés dans certaines tâches cognitives. Et, à l’image des organes qui ont été sélectionnés par et pour leurs fonctions métaboliques ou sensitives qui offraient un avantage adaptatif, les psychologues évolutionnistes pensent qu’il est logique de s’attendre à ce que les modules cognitifs soient sélectionnés de la même façon : par et pour leurs fonctions (Ermer et al. 2007). Et de fait, les psychologues évolutionnistes arguent que l’humanité a, pendant des millions d’années, été plongée dans des conditions environnementales suffisamment récurrentes et contraignantes pour avoir induit l’évolution par sélection naturelle de certains organes, et donc aussi de certains modules cognitifs (Tooby & Cosmides 1992).

Plus précisément, iels considèrent que les comportements humains qui auraient présenté un avantage évolutif face à certaines conditions environnementales données se seraient vus sélectionnés par rapport à d’autres. Or, du fait que les comportements seraient le produit manifeste de notre esprit, et que ces comportements seraient l’objet de la sélection naturelle, les psychologues évolutionnistes en déduisent que l’architecture cognitive doit refléter ce processus de sélection naturelle, au même titre que l’agencement et la coordination des organes du corps humains (Tooby & Cosmides 1994). Ainsi, l’architecture cognitive qui finirait par être sélectionnée devrait être constituée de multiples modules, chacun étant sensible à certains stimulis données et produisant une fonction cognitive donnée. Ce n’est autre que la modularité massive, et pour les psychologues évolutionnistes toute autre organisation serait nécessairement sous-optimale.

Les psychologues évolutionnistes mettent en avant la fonction des modules cognitifs puisque cela leur permet de faire jouer le fait que la théorie de l’évolution par sélection naturelle est une théorie des fonctions biologiques. Cela permet de justifier que les modules cognitifs sont sélectionnés par et pour leurs fonctions, c’est à dire les comportements qu’ils engendrent (Tooby & Cosmides 1994, p. 96).

Le second argument justifiant l’hypothèse de la modularité massive aux yeux des psychologues évolutionnistes est celui de l’explosion combinatoire. C’est un ancien argument cité relativement souvent dans la littérature car sa force évocatrice est importante (Tooby & Cosmides 1994, Sperber 2005, Tooby & Cosmides 2016). Il repose sur l’idée qu’un ordinateur a une puissance de calcul finie et limitée et — en invoquant l’analogie entre le fonctionnement de l’esprit et celui d’un l’ordinateur — qu’on devrait avoir la même contrainte pour l’esprit. Les psychologues évolutionnistes annoncent ensuite que si l’esprit est de type domain general alors le traitement cognitif du flot d’informations qu’il doit traiter (consistant en l’ensemble des stimulis environnementaux extérieurs et intérieurs) pour calculer la réponse comportementale la plus adaptée à un contexte donné devrait nécessairement passer par le calcul de toutes les issues possibles à l’individu, à partir de toutes ces informations accessibles (car l’esprit n’est pas spécialisé par définition !). Or, pour les psychologues évolutionnistes, ce type de calcul cognitif dépasserait largement les capacités computationnelles de l’esprit (Tooby & Cosmides 1994, Sperber 2005). Sa tractabilité computationnelle — c’est à dire le fait que le volume de calcul soit contrôlé et n’explose pas — ne serait plus assurée et l’esprit ne pourrait produire de comportement adapté à la situation en un temps raisonnable, ou même fini.

Pour les psychologues évolutionnistes, ce problème ne se poserait pas dans le cas où l’esprit est massivement modulaire, puisque chaque module ne prendrait qu’un nombre restreint d’informations en entrée, et les processerait relativement indépendamment des autres et de manière automatique, pour produire un résultat rapide et adapté au contexte. Pour elleux, toute autre forme d’architecture cognitive ne permettrait donc pas de préserver la tractabilité des calculs et d’obtenir une issue pertinente. Cet argument est apparu dès les balbutiements de la psychologie évolutionniste (Tooby & Cosmides 1994), et a été régulièrement reproduit jusqu’à aujourd’hui (Tooby & Cosmides 2016), malgré l’absence totale de résultats empiriques le soutenant. 

Le dernier point de la Proposition 1. est une généralisation de l’argument controversé de la “pauvreté du stimulus” de Noam Chomsky, qui veut que les enfants ne peuvent pas inférer la grammaire d’un langage juste à partir des stimuli qu’iels perçoivent dans leur environnement, c’est donc bien qu’il y a quelque chose d’inné dans les capacités cognitives langagières (Chomsky 1986). De la même façon les psychologues évolutionnistes avancent que les humains possèdent nécessairement une architecture cognitive innée qui leur permette de naviguer dans le monde à partir du peu d’informations obtenues sur leur environnement, et cette architecture ne peut être que massivement modulaire car ce serait l’unique manière de résoudre les problèmes adaptatifs auxquels nos ancêtres auraient été régulièrement confrontés (Tooby & Cosmides 1994, Frankenhuis & Ploeger 2007). À leurs yeux, les contraintes que l’environnement posait sur les individus au Pléistocène étaient suffisamment stables dans le temps et dans leurs caractéristiques, pour que la sélection naturelle puisse faire effet (Tooby & Cosmides 1992). En s’appuyant sur cette affirmation, les psychologues évolutionnistes expliquent ensuite que le genre de problèmes posés par ces contraintes enavironnementales ne pourraient supposément pas être résolus par un esprit qui soit de type domain general, car comme nous l’avons vu d’après les évopsys un esprit de ce type serait confronté au problème de l’explosion combinatoire, et ne pourrait donc pas produire un comportement adapté à la situation en un temps fini.

Les évopsys considèrent que la sélection naturelle aurait au contraire optimisé l’esprit de manière à répondre efficacement à ces problèmes adaptatifs, et que cela se serait traduit par l’émergence de modules spécialisés dans leur réponse à un ensemble spécifique de stimuli. Mais comme un esprit avec des modules cognitifs fonctionnellement spécialisés serait d’après les évopsys toujours plus efficace qu’un esprit de type domain general, cela procurerait un avantage évolutif, et donc il est attendu que la modularité cognitive se répande dans la population, aboutissant en cela à la modularité massive de l’esprit dans l’espèce humaine actuelle (Tooby & Cosmides 1994, Barrett & Kurzban 2006). Autrement dit, les propriétés de functional specialization et de domain specificity possédées par les modules cognitifs seraient le produit de la sélection naturelle.

Extrait d’un article (Tooby & Cosmides 1994, p. 89) datant de l’époque où l’hypothèse de la modularité massive s’est installée dans le champ de la psychologie évolutionniste. C’est avec un exemple venant de l’éthologie animale que Tooby et Cosmides justifient ensuite cet argumentaire qui se révèle être une pétition de principe.

Objections à la modularité massive

Les justifications avancées par les psychologues évolutionnistes en faveur de l’hypothèse de la modularité massive dans la Proposition 1. posent problème (Shapiro & Epstein 1998). Nous allons les étudier point par point mais avant toute chose rappelons que depuis l’apparition de cette hypothèse au tournant des années 1990, aucune preuve empirique n’a pu venir corroborer cette hypothèse (Samuels 2006, Rabaglia et al. 2011, Robbins 2013). Et même certains éléments pouvant soutenir une vision modulaire de l’esprit — comme par exemple le fait que le traitement de l’information neuronale est séparé en flux distincts — se révèlent être totalement explicables sans faire appel à l’hypothèse de modularité dès qu’on prend en compte de manière assez fine les phénomènes stochastiques (Parr et al. 2020). Les éléments empiriques issus des sciences cognitives manquent donc pour appuyer l’hypothèse de la modularité massive.

Tournons nous donc vers la discussion plus théorique engagée par les psychologues évolutionnistes dans la Proposition 1., et notamment le premier point, l’évolvabilité : L’évolution d’un système biologique complexe n’est possible qu’à la condition d’être décomposable en sous-parties fonctionnelles relativement indépendantes sur laquelle la sélection naturelle peut agir. Les psychologues évolutionnistes y supposent les deux hypothèses suivantes :

a) la modularité est une condition nécessaire à l’évolution par sélection naturelle (du fait qu’elle autorise la sélection d’un module indépendamment d’un autre) et, pour que la sélection naturelle agisse sur les modules comme elle agit sur les organes du corps humains, iels supposent en outre que
b) ces modules sont sélectionnés pour leur fonction.

Or ces deux hypothèses s’appuient en réalité sur les deux pétitions de principe suivantes :

a’) les traits comportementaux sont des adaptations cognitives; cela n’est possible que si
b’) tout trait comportemental doit être le produit manifeste de ces modules, justifiant ainsi de leurs fonctions.

Le point a) signifie que la sélection naturelle n’aurait d’effet que si l’organisme est modulaire (hypothèse selon laquelle le corps humain est organisé en organes autonomes mais reliés entre eux, et ne voit pas le corps comme autre chose que la somme de ses parties). La modularité de l’organisme est parfois défendue par des biologistes pour certains organes du corps humains (Wagner & Altenberg 1996), mais refusé par d’autres (Gould & Lewontin 1979). La nécessité de l’hypothèse de la modularité pour permettre l’évolution des traits est dans tout les cas hautement contestée en ce qui concerne l’architecture cognitive (Woodward & Cowie 2004). En effet elle suppose que les modules évoluent de manière indépendante, et ne prend pas du tout en compte les possibilités de co-évolution de l’architecture cognitive. Comme dans le reste du corps humain, l’évolution par sélection naturelle d’une certaine partie peut être corrélée ou contrainte par l’évolution d’une autre partie : on parle de traits connectés (Sterelny & Griffiths 1999). Or il existe des preuves que les capacités cognitives humaines relèvent certainement plus de traits connectés que d’une assemblée de modules évolutivement indépendants (Finlay et al. 2001, Woodward & Cowie 2004).

Le point a’) est beaucoup plus controversé puisqu’il sous-entend que les comportements auraient été sélectionnés pour leurs fonctions. C’est le paradigme principal de la psychologie évolutionniste. Ces deux points signifient que la psychologie évolutionniste est adaptationniste, or cette approche été largement critiquée pour plusieurs raisons que nous présenterons dans la prochaine partie. Le point b) est plus ou moins une façon de mettre en avant la spécialisation fonctionnelle des modules. Le point b’), lui, est beaucoup plus spéculatif puisque malgré les déclarations des psychologues évolutionnistes l’existence d’un module dont le produit final serait un comportement n’a en effet jamais été démontrée (Woodward & Cowie 2004, Buller 2005), car le plus souvent les propositions d’arrimer un trait comportemental à un module cognitif débouche sur des controverses jamais tranchées (Barrett & Kurzban 2006).

Tournons nous maintenant vers le deuxième point de la Proposition 1., l’explosion combinatoire : Un esprit de type domain general ne pourrait pas fonctionner car le calcul des issues comportementales possibles face à une situation donnée demanderait trop de ressources cognitives. Étonnamment, l’argument de l’explosion combinatoire entre en contradiction avec ce qui se sait en sciences cognitives (Otworowska et al. 2018, Rich et al. 2019). En effet l’hypothèse selon laquelle un esprit de type domain general induirait nécessairement plus de calculs qu’un esprit massivement modulaire est très douteuse. Avoir un esprit constitué de modules, chacun étant assigné à une tâche spécifique, est semble-t-il beaucoup plus coûteux que d’avoir un esprit constitué d’algorithmes généralistes, qui profitent des similarités entre les tâches cognitives pour pouvoir traiter à moindre coût celles qui se ressemblent. C’est ainsi du moins que les chercheur·ses en sciences cognitives considèrent le problème de la tractabilité combinatoire. Pire, les chercheur·ses en sciences cognitives sont en mesure de mesurer la complexité des différents modèles théoriques d’organisation de l’esprit, et donc de comparer différentes hypothèses d’architectures cognitives. Il a été ainsi démontré que la modularité massive ne produit en rien un avantage calculatoire sur une architecture de type domain general (Rich et al. 2020), et que tous les modèles d’architecture cognitive du type “boite à outils adaptative” sont considérés comme induisant des calculs intractables et NP-difficiles (Otworowska et al. 2018, Rich et al. 2019).

Maintenant, le troisième point de la Proposition 1., la task specificity : L’architecture cognitive à même de répondre aux problèmes adaptatifs auxquels étaient confrontés les humains il y a des millions d’années ne pouvait être que de type domain specific, et a donc été sélectionnée pour cela. Les objections à ce dernier point sont très simples : en premier lieu, l’argument ne concerne que l’innéité des caractères (comme dans l’utilisation originelle de Chomsky de son argument sur la pauvreté du stimulus), et donc l’argument ne nous dit rien sur le caractère modulaire de l’esprit (Downes 2020). Ainsi, même en supposant que l’argument soit bien fondé, rien ne nous dit qu’il n’existe pas d’architecture cognitive tout aussi efficace que celle proposée par l’hypothèse de la modularité massive (Woodward & Cowie 2004). Or les objections à l’intractabilité que nous avons présentées ci-dessus penchent d’ailleurs plutôt vers une architecture cognitive qui ne soit pas massivement modulaire.

En second lieu, dans tous ces types d’architectures également envisageables, aucune preuve n’a été apportée qu’un esprit de type domain general ne puisse pas résoudre les problèmes rencontrés par nos ancêtres au Pléistocène (Atkinson & Wheeler 2004). Au contraire, les psychologues évolutionnistes feraient l’erreur d’identifier les processus cognitifs avec les tâches ou les objectifs dans lesquels les processus cognitifs servent (Shapiro & Epstein 1998). Cela expliquerait qu’iels considèrent qu’à chaque tâche correspondrait un module cognitif, et donc que seule la modularité massive pouvait permettre la survie des individus de l’espèce humaine. Or supposer qu’une structure modulaire de type domain specific serait toujours plus efficace qu’une architecture de type domain general est passablement erroné : l’architecture cognitive qui sera favorisée par la sélection naturelle — en supposant qu’elle en soit le produit — dépend entièrement des détails des pressions de sélection auxquels les individus de l’espèce sont soumis (Woodward & Cowie 2004). Or, plusieurs faisceaux d’indices convergent vers l’idée que l’environnement physique et social de nos ancêtres étaient hautement variable (Allman 1999), contrairement à ce que soutiennent les psychologues évolutionnistes. Donc, si pression de sélection sur le cerveau il y a eu, elle a certainement favorisé l’évolution de mécanismes cognitifs permettant l’assimilation rapide de nouvelles informations et une plasticité comportementale, plutôt que des modules de type domain specific (Woodward & Cowie 2004). Cela s’explique par l’idée que pour résoudre des tâches cognitives relativement proches, il est certainement moins couteux évolutionnairement parlant de réutiliser l’architecture cognitive préexistante en l’adaptant plutôt que de faire émerger de nouveaux modules. La sélection naturelle favorise souvent la réutilisation d’anciens matériaux à de nouvelles fins, avec toute la redondance et l’interconnexion ad hoc qu’elle implique — on qualifie parfois ce aspect de la sélection naturelle de “bricolage” (tinkering en anglais) (Jacob 1977).

Ainsi les trois points de la Proposition 1. ont reçu des contre-arguments convaincants, ce qui fragilise les justifications des psychologues évolutionnistes pour défendre la modularité massive. Pour cette raison, iels commencent même à lâcher du lest sur cette hypothèse et à accepter que les fonctions cognitives supérieures pourraient ne pas être forcément le produit de modules (Barrett 2005), ou que la démarcation entre architecture domain specific et architecture domain general est floue (Barrett & Kurzban 2006, Ermer et al. 2007). Bien entendu il existe d’autres formulations légèrement différentes des trois items ainsi que leurs contre-arguments respectifs, mais cela ne change pas radicalement la donne et peuvent de toute façon être analysés au cas par cas (Samuels 2006, Robbins 2017). Les objections aux justifications des psychologues évolutionnistes se doublent d’arguments propres aux sciences cognitives et à la philosophie des sciences, qui n’ont toujours pas reçu de réponses convaincantes de la part des psychologues évolutionnistes, expliquant ainsi le désavoeu envers cette hypothèse en dehors du domaine très restreint de la psychologie évolutionniste. Nous les présentons succinctement dans le reste de cette section.

Conclusion d’un article sur la modularité massive (Samuels 2006, p. 52).

La première objection des sciences cognitives vient de ce qu’on appelle le input problem (Fodor 2000), qui consiste à remarquer que si l’esprit est complètement modulaire, il faut bien qu’il existe une instance cognitive qui contrôle et redirige le flot d’informations produits par les modules de bas niveau vers les modules de plus haut niveau. Cette instance cognitive devrait posséder des caractéristiques proches de ce qu’on qualifie de domain general. Barret a proposé en réponse un modèle de modularité massive dans lequel les modules sont considérés comme des enzymes, c’est à dire qu’ils ne captent qu’un seul type d’informations, mais cette hypothèse n’a pas rencontré d’assentiment philosophique ou de confirmation empirique (Barrett 2005, Samuels 2012).

Une deuxième objection des sciences cognitives vient du problème qu’on qualifie de domain integration problem : certaines tâches humaines demandent d’intégrer plusieurs types d’informations qui semblent n’avoir aucun lien entre elles pour les résoudre, c’est ce qu’on appelle la flexibilité cognitivo-comportementale de l’esprit (Samuels 2012). Comment un esprit qui serait massivement modulaire pourrait trier les informations pertinentes issues de plusieurs modules et les assembler entre elles pour produire un comportement adapté à une situation très complexe sans faire appel un minimum à un centre cognitif de type domain general ? Cette dernière objection semble très forte puisqu’elle n’a pas encore rencontré de contre-argument suffisamment pertinent (Huang 2019).

À ces critiques déjà fortes envers la modularité massive venant des sciences cognitives (il en existe bien entendu d’autres), on peut rajouter deux autres critiques supplémentaires venant de la philosophie des sciences. La première part du principe que si l’hypothèse de la modularité massive est vraie alors le fonctionnement de notre esprit devrait être largement contraint par sa structure cognitive modulaire. En particulier, la manière dont nous humains voyons le monde devrait être forcément très contrainte par ces modules — qui rappelons-le sont spécialisés dans certaines tâches, sélectionnées pour leurs fonctions. Ceci implique que nous ne pourrions certainement pas avoir accès au monde “tel qu’il est” : il nous serait impossible d’accéder à la position Kantienne surplombante permettant de faire la science à laquelle s’identifient les psychologues évolutionnistes. Et a fortiori nous serions incapables de mener à bout le programme de recherche de la psychologie évolutionniste qui prétend vouloir déceler la nature humaine. Autrement dit, si on applique les principes de la psychologie évolutionniste aux psychologues évolutionnistes, nous rencontrons une contradiction (Ratcliffe 2005).

La deuxième objection venant de philosophie des sciences requiert de prouver que les modules cognitifs qui auraient été sélectionnés au Pléistocène soient bien les mêmes que nous utiliserions aujourd’hui (Mameli & Bateson 2006, Smith 2020). L’hypothèse que le fonctionnement de notre cerveau actuel est relativement identique à celui de nos ancêtres est centrale en psychologie évolutionniste pour expliquer que les modules cognitifs produisent les comportements selon des algorithmes sélectionnés au Pléistocène. Cela permet aux psychologues évolutionnistes de justifier ensuite le programme adaptationniste, en suivant l’idée selon laquelle ces algorithmes cognitifs, quand bien même ils ne seraient pas adaptatifs aujourd’hui, l’étaient certainement par le passé. Or, à aucun moment les psychologues évolutionnistes ne démontrent la stabilité de l’architecture cognitive entre le moment où la sélection s’est popérée au Pléistocène, et aujourd’hui. C’est donc tout le programme adaptationniste de la psychologie évolutionniste qui est menacé. Il y a eu bien sûr des réponses à ces objections de la part des psychologues évolutionnistes, principalement pour défendre le statu quo (Hagen 2020, Coyne 2020).

En guise de conclusion de cette partie, nous avons vu que les arguments proposés par les psychologues évolutionnistes pour défendre l’hypothèse de la modularité massive ne rencontrent pas l’assentiment des chercheur·ses en sciences cognitives. Au contraire, les résultats empiriques corroborant l’hypothèse de la modularité massive de l’esprit font toujours défaut puisque elle ne parvient pas à expliquer les observations effectuées sur le fonctionnement du cerveau. L’attachement de la psychologie évolutionniste à cette hypothèse alors qu’elle démontre beaucoup d’incohérences avec l’état actuel des connaissances en sciences cognitives pose question. Il est en effet étonnant qu’une discipline universitaire se revendiquant de deux sciences déja bien établies, refuse de se plier aux règles de base de la déontologie scientifique qui est de répondre au objections principales de ces deux disciplines. Cela interroge sur la légitimité scientifique de la psychologie évolutionniste, qui peut parfois être perçue comme n’étant qu’un lieu clos ne souffrant pas d’être critiqué par les disciplines bien plus solides dont elle se réclame.

Pour se dépêtrer de cette situation en cul-de-sac, des psychologues évolutionnistes pourront adoucir leur position théorique en arguant que la modularité telle qu’iels la conceptualisent est moins massive que prévue, et qu’iels pourront même admettre une partie de mécanismes cognitifs de type domain general. Mais cette nouvelle position, moins radicale, est cependant très peu distinguable de ce qui fait le consensus actuel en sciences cognitives : la modularité se limite à la gestion des tâches cognitives les plus annexes et subalternes (selon Fodor par exemple, seules les “portes d’entrée et de sortie” dans l’esprit seraient essentiellement modulaires : on peut penser par exemple à la vision ou à l’ouïe). Mais dans ce cas, il n’y a plus lieu de parler de modularité massive, et tous les arguments qui s’appuyaient sur cette hypothèse pour justifier la démarche spécifique de l’evopsy s’effondrent : la critique de la psychologie évolutionniste envers la “tabula rasa” et les esprits de type domain general devient dès lors caduque, mais surtout l’idée selon laquelle les comportements humains sont principalement des adaptations ne tient plus du tout. L’adaptationnisme nécessaire à la psychologie évolutionniste n’a alors plus aucune justification théorique.

L’adaptationnisme en question

Les adaptations en biologie

L’affection des psychologues évolutionnistes pour l’hypothèse de la modularité massive de l’esprit s’explique très largement par leur approche adaptationniste des comportements humains. En biologie, la notion d’adaptation précède largement l’avénement de la théorie de l’évolution de Darwin, mais c’est lui qui en a donné le sens qu’on utilise encore aujourd’hui.

Définition 3. Dans une espèce animale donnée, une adaptation est un trait phénotypique répandu procurant un avantage sélectif, et qui a évolué ou qui est maintenu grâce à la sélection naturelle.

(Reeve & Sherman 1993, Reznick & Travis 2001, Futuyma & Kirkpatrick 2017)

Expliquons plus en détail les termes de cette définition. Le phénotype est l’ensemble des trait observables d’un être vivant. Un trait phénotypique — ou caractère — est donc un de ses aspects anatomique, physiologique, moléculaire ou comportemental, qui peut être analysé. Des exemples de traits physiologiques dans l’espèce humaine seraient le pouce opposable, la vision binoculaire, la bipédie, les caractères sexuels secondaires, etc. Des traits psychologiques seraient par exemple la peur des serpents, l’altruisme, ou encore l’hypergamie des femmes et l’hypogamie des hommes (chacun d’entre eux est sujet à débat).

Dans la définition, nous avons précisé “répandu” (dans l’espèce) car sinon nous ne pourrions pas parler d’adaptation. Ce trait phénotypique peut — dans l’environnement naturel de cette espèce — présenter un avantage de valeur sélective (fitness en anglais), c’est à dire qui améliore la survie ou la reproduction des membres de l’espèce qui en sont dotés. Il existe des traits (par exemple l’altruisme) qui n’améliorent pas la survie ou la reproduction des individus mais qui permet néanmoins d’améliorer la survie d’individus génétiquement proches, on parle alors de valeur sélective inclusive et de sélection de parentèle. C’est par ailleurs un des mécanismes évolutifs les plus mobilisés en psychologie évolutionniste, à travers des auteurs comme Hamilton, Trivers, etc. qui sont centraux dans la discipline pour leur influence sur son rapport à la théorie de l’évolution (de Vore 1988, Buss 2019). Soulignons que la Définition 3. met l’accent sur le caractère relatif de la valeur sélective portée par le trait phénotypique : ce n’est que relativement à d’autres alternatives explicites de traits phénotypiques que le caractère considéré procure un avantage (Futuyma & Kirkpatrick 2017, Reeve & Sherman 1993).

D’autre part, la Définition 3. ne fait pas mention d’une éventuelle “fonction” des traits phénotypiques car en biologie la question de la fonctionnalité des traits est au coeur d’âpres débats. Certains biologistes sont partisans de mettre en avant l’idée que les traits phénotypiques sont sélectionnés parce qu’ils remplissent une certaine fonction procurant un avantage sélectif (Williams 1966, Sober 1984), tandis que d’autres jugent qu’on ne peut pas s’avancer jusque là et que l’on ne doit considérer les adaptations que du point de vue de l’avantage sélectif qu’elles procurent, sans pour autant leur attribuer une fonction (Reznick & Travis 2001, Lynch 2007, Futuyma & Kirkpatrick 2017, CNQT 2019c). L’idée que la fonction d’un trait justifie en elle-même de sa valeur sélective porte un nom : c’est la téléonomie. Plus précisément, cela correspond à l’idée qu’un trait aurait été sélectionné parce qu’il aurait rempli une fonction précise dans l’histoire de l’espèce, qui favorisait la survie ou la reproduction, et donc sa sélection. Il est bien entendu que, bien que le processus d’évolution puisse paraitre téléonomique à l’échelle des organismes, il ne l’est certainement pas en tant que tel — la sélection naturelle est en effet “aveugle” (Mayr 1965). Cependant les chercheurs et chercheuses adoptant le principe de téléonomie auront tendance à déterminer si un trait est une adaptation ou non selon qu’il remplit une fonction évidente ou non : le design du trait étant alors considéré comme un argument soutenant l’hypothèse qu’il soit une adaptation (Andrews et al. 2002). La téléonomie est donc une sorte de fonctionnalisme (Thompson 2010). Bien entendu, Pour cette raison, les biologistes n’adhèrent pas toutes et tous à ce principe, par contre c’est une approche hégémonique en psychologie évolutionniste, et ce dès les débuts de la discipline (Symons 1990, Tooby & Cosmides 1992, Simpson & Campbell 2016).

Un extrait de l’introduction du livre “The Adapted Mind” qui montre que les psychologues évolutionnistes défendent l’idée que les adaptations sont sélectionnées pour leurs fonctions (Cosmides et al. 1992, p. 9).

Enfin, la dernière partie de la Définition 3. rappelle l’aspect historique de la notion d’adaptation. Tout le monde biologique n’est pas d’accord avec cet aspect (Reeve & Sherman 1993), mais beaucoup de biologistes de l’évolution considérant qu’une adaptation est le produit de la sélection naturelle, il est nécessaire d’inclure cette dimension historique. Cela est d’autant plus justifié en ce qui nous concerne étant donné que la psychologie évolutionniste est une science revendiquant un ancrage dans le passé. La présente section sera justement dédiée à étudier les problèmes que posent la méconnaissance du passé dans la détermination du caractère adaptatif ou non d’un trait phénotypique.

Il n’existe donc pas de définition claire et unifiée de ce qu’est une adaptation (Reeve & Sherman 1993). Nous retiendrons cependant qu’une adaptation est le produit de la sélection naturelle. Tous les traits ne sont pas des adaptations : il existe des traits qui sont le produit de contraintes physico-chimiques, des traits qui sont le produit de la dérive génétique, des traits qui sont corrélés à d’autres traits qui eux sont des adaptations (on parle de by-products), ou encore des traits qui ne sont que le résultat de l’histoire phylogénétique de l’espèce (Futuyma & Kirkpatrick 2017). De ce fait, il n’est pas garanti que tout trait phénotypique présentant l’apparence d’une adaptation (par exemple de par son design ou sa fonction) soit une adaptation.

L’adaptationnisme est l’attitude qui consiste à considérer qu’un trait phénotypique qui présente un design fonctionnel manifeste est très certainement plus une adaptation qu’autre chose. C’est l’idée que négliger les effets autres que la sélection naturelle ne changerait pas trop les résultats qu’on obtiendrait si on ne les négligeait pas (CNQT 2019c). Comme nous allons le voir, les psychologues évolutionnistes ne se distinguent pas par leur prudence vis à vis des risques qu’une telle attitude — qu’on pourrait qualifier de fonctionnaliste — fait peser sur leur programme de recherche. La psychologie évolutionniste justifie le fait que les comportements sont des adaptations par un argument présenté par Tooby et Cosmides (Tooby & Cosmides 1992, Tooby & Cosmides 2016, p. 11). Des deux hypothèses suivantes :

  1. dans les systèmes biologiques, les phénomènes mentaux sont l’expression d’une organisation fonctionnelle complexe, et
  2. l’organisation fonctionnelle complexe des organes est la conséquence directe de la sélection naturelle,

Tooby et Cosmides déduisent la conclusion suivante : les sciences de l’esprit sont des sciences adaptationnistes et les mécanismes psychologiques (et donc les comportements) sont des adaptations cognitives (parce que leurs fonctions offraient un avantage adaptatif). Concernant la première hypothèse nous avons démontré dans la partie précédente que l’aspect “fonctionnel” de l’architecture cognitive et la modularité massive ne faisaient pas consensus parmi les scientifiques. Nous montrerons dans cette partie que la seconde hypothèse ne fait pas consensus non plus, ce qui fragilise d’autant plus l’argument de Tooby et Cosmides.

La psychologie évolutionniste n’est pas la première discipline adaptationniste à étudier le comportement humain : la sociobiologie l’a fait avant elle. Cependant, la première se distingue de la seconde de deux façons différentes :

1) elle revendique clairement son articulation avec les sciences cognitives, et

2) elle rejette l’hypothèse (promue par les sociobiologistes) que les comportements tendent nécessairement à être adaptatifs, c’est à dire qu’ils optimisent la valeur adaptative (ou fitness en anglais) des individus vivant à l’heure actuelle.

Les psychologues évolutionnistes soulignent dès la fin des années 1980 cette divergence théorique avec la sociobiologie, d’autant plus qu’iels cherchent à mettre le plus de distance possible avec cette discipline à la réputation sulfureuse (Segerstråle 2000).

Ainsi, en psychologie évolutionniste, on considère que les comportements observés aujourd’hui sont l’expression contemporaine et culturellement localisée de traits comportementaux sélectionnés il y a plusieurs dizaines ou centaines de milliers d’années (durant le Pléistocène). Plus précisément, les psychologues évolutionnistes font l’hypothèse que certains traits comportementaux ont été sélectionnés pour le caractère adaptatif qu’ils offraient vis à vis de l’environnement dans lequel vivaient nos ancêtres. Étant donné que notre environnement (naturel et social) aurait changé trop rapidement ces quelques derniers milliers d’années pour que la sélection naturelle puisse avoir un effet conséquent (Cosmides et al. 1992) — ce qui est contesté par les biologistes de l’évolution, les psychologues évolutionnistes considèrent que les comportements que l’on observe aujourd’hui sont le résultat du traitement par notre cerveau (adapté à notre mode de vie de chasseurs-cueilleurs dans l’environnement du Pléistocène) de stimuli issus de notre environnement actuel. C’est le fameux slogan “un cerveau de l’âge de pierre dans un crâne moderne”.

En effet comme nous l’avons vu plus haut, pour les évopsys, un comportement est avant tout l’expression manifeste d’un mécanisme cognitif computationnel : à des stimuli en entrée correspond un output, et cela de manière systématique (Cosmides et al. 1992). Ainsi, à leurs yeux, autant ce mécanisme pouvait être adapté vis à vis des conditions environnementales stables du Pléistocène— ce qui permettait incidemment à la sélection naturelle de faire effet — autant il n’est plus nécessairement adaptatif face aux changements rapides d’environnements survenus dans l’histoire de l’humanité depuis les derniers milliers d’années. Ainsi, pour les psychologues évolutionnistes, un comportement anciennement sélectionné n’est donc pas forcément le plus adapté à notre époque et dans notre environnement.

Pour justifier que les comportements aient été sélectionnés — et aussi pour se distinguer de la sociobiologie dans le paysage scientifique — les psychologues évolutionnistes ressentirent le besoin de se rapprocher des sciences cognitives, alors en pleine essor dans les années 1980. Iels invoquent l’hypothèse de la modularité massive de l’esprit car cela leur permet de dresser une analogie directe entre organes du corps humain et modules cognitifs. En effet, en supposant que chaque organe a été modelé par la sélection naturelle, du fait que sa fonction et les interactions qu’il a avec les autres organes du corps humains présentaient un avantage adaptatif, les psychologues évolutionnistes considèrent que cela doit fonctionner de la même façon avec les modules cognitifs. Ainsi, la sélection naturelle aurait tout naturellement mené vers une architecture cérébrale massivement modulaire (comme vu dans la partie précédente), et les comportements auraient été sélectionnés en fonction de leur caractère adaptatif par le biais de la sélection des modules cognitifs associés à ces comportements.

Les psychologues évolutionnistes justifient leur vision adaptationniste du fait que les humains manifesteraient une organisation cognitive fonctionnelle complexe qui serait le produit de l’évolution par sélection naturelle. Cet argument passe sous silence les approches non adaptationnistes de l’évolution (Tooby & Cosmides 1992, p. 55).

Plusieurs types d’adaptationnisme

La psychologie évolutionniste part donc du principe que des traits comportementaux ont été sélectionnés dans l’espèce humaine, et qu’ils se manifestent aujourd’hui en fonction des modalités de l’environnement auxquelles sont confrontés les individus. Les psychologues évolutionnistes considèrent que les comportements observés aujourd’hui trahissent une fonction évolutive ancestrale, qui était adaptative au Pléistocène. Cette position, éminemment adaptationniste, pourrait même être qualifiée de fonctionnaliste : c’est partir de l’idée que l’association manifeste d’une fonction à un organe ou à un comportement induit nécessairement qu’il a été sélectionné pour cette fonction. Déterminer la fonction de l’organe (ou ici, du module cognitif) est centrale pour un adaptationniste, car cela justifie à ses yeux l’existence de cet organe.

Il y a bien entendu une graduation dans l’adaptationnisme, que certains philosophes de la biologie décrivent comme suit (Godfrey-Smith 2001) :

  • adaptationnisme empirique : la sélection naturelle est une force puissante et omniprésente, à tel point qu’il est possible de prédire et d’expliquer le résultat des processus évolutifs en s’intéressant uniquement au rôle joué par la sélection. Aucun autre facteur évolutif n’a ce degré d’importance causale.
  • adaptationnisme explicatif : Le design apparent des organismes et l’adaptation apparente des organismes à leurs environnements sont le problème fondamental en biologie. Expliquer ces phénomènes est la mission intellectuelle centrale de la théorie de l’évolution, et la sélection naturelle est la clé pour résoudre ces problèmes.
  • adaptationnisme méthodologique : La notion d’adaptation est un bon “concept d’organisation” pour la recherche en évolution. La meilleure façon pour les scientifiques d’analyser les systèmes biologiques est donc de rechercher des caractéristiques d’adaptation et de “bonne conception”, à l’aide de la sélection naturelle plutôt que de tout autre processus évolutif.

Ces trois définitions permettent de mieux décrire la positionnement des psychologues évolutionnistes — et plus largement celui des biologistes — vis à vis de la sélection naturelle. Le premier adaptationnisme, considéré comme la version la plus “forte” des trois, considère que 1) la sélection naturelle régit tous les aspects importants de l’évolution des traits biologiques (i.e. les autres processus éventuels comme la dérive génétique n’ont que peu d’influence dessus), et 2) l’ordre dans la nature est une conséquence de la sélection naturelle (Gould & Lewontin 1979, Orzack & Forber 2017). Pour décrire la nature il suffit donc de l’observer en appliquant une méthodologie empirique fondée sur la recherche et la compréhension des adaptations, d’où le qualificatif d’adaptationnisme empirique. Il s’agit d’une affirmation sur l’influence de la sélection naturelle vis à vis de l’évolution, par rapport à d’autres explications concurrentes. Cet adaptationnisme est qualifié d’ultra-darwinisme par certains auteurs (Blanc 1990, Gould 1991) puisqu’il mésinterprète jusqu’à la déformer la notion d’évolution par sélection naturelle telle qu’originellement pensée par Darwin.

Là où l’adaptationnisme empirique considère que la recherche en biologie se ramène à comprendre les adaptations, l’adaptationnisme explicatif affaiblit cette position mais maintien la prééminence de la recherche sur l’évolution en biologie. En effet, ce second type d’adaptationnisme articule deux points : 1) la sélection naturelle explique le design et l’adaptation des organismes à leurs environnements, et 2) l’évolution et l’adaptation des organismes forment la question principale à laquelle devrait répondre la biologie. Ainsi le premier point est une version affaiblie de l’adaptationnisme empirique, tandis que le deuxième point apparaît comme un jugement de valeur sur ce qui compte en biologie. L’adaptationnisme explicatif porte donc un versant scientifique et un versant normatif (qui était aussi présent implicitement dans l’adaptationnisme empirique) : c’est une affirmation sur le rôle et l’importance de certaines explications en biologie. Enfin, l’adaptationnisme méthodologique est une approche purement heuristique et normative : chercher les adaptations est le meilleur moyen de faire de la recherche en évolution. Cela ne veut pas dire que les traits biologiques sont nécessairement le produit de la sélection naturelle, mais qu’il est préférable de commencer la recherche en testant cette hypothèse.

Un représentant de l’adaptationnisme empirique serait Maynard-Smith (Orzack & Forber 2017), référence revendiquée par les psychologues évolutionnistes. Les adaptationnistes empiriques peuvent néanmoins tout à fait admettre qu’au niveau moléculaire la sélection naturelle n’a quasiment aucun effet, suivant en cela la théorie neutraliste de l’évolution de Motō Kimura (Kimura 1983, Godfrey-Smith 2001). Le philosophe Peter Godfrey-Smith considère que Richard Dawkins et Daniel Dennett défendent principalement un adaptationnisme explicatif, avec des incursions vers l’adaptationnisme empirique. Les plus grandes critiques apportées à l’adaptationnisme méthodologique est qu’il ne promeut qu’une approche alors qu’il est admis que l’avancée scientifique est améliorée lorsque les méthodes utilisées sont plurielles (Feyerabend 1975, Kitcher 1993).

L’adaptationnisme en évopsy

Dans cette variation d’adaptationnismes les psychologues évolutionnistes n’ont pas de position déterminée et arborent souvent et alternativement les trois types. En effet, iels auront régulièrement tendance à souligner l’importance de comprendre les comportements d’un point de vue adaptationniste, et bien que Hagen revendique l’idée que la psychologie évolutionniste repose sur un adaptationniste explicatif (Hagen 2016), il n’est pas rare de voir surgir des velléités d’adaptationnisme empirique sous la plume des plus grands psychologues évolutionnistes :

Une autre justification de l’adaptationnisme de la psychologie évolutionniste (Tooby & Cosmides 2016, p. 10).

Les psychologues évolutionnistes se revendiquent souvent de l’adaptationnisme de Charles Darwin et de George Williams (Williams 1966). Pourtant, Williams comme Darwin étaient beaucoup plus prudents que la plupart d’entre elleux puisqu’ils mettaient en garde de tomber dans le piège de chercher à tout prix une explication adaptationniste dans les observations naturelles (Godfrey Smith 2001, Gould & Lewontin 1979). En cela Williams et Darwin promeuvent un adaptationnisme explicatif, et rejettent l’adaptationnisme empirique, comme méthodologique. Au contraire, comme nous l’avons vu dans l’extrait ci dessus les psychologues évolutionnistes revendiqueront l’utilité du premier ainsi que du dernier car, d’après eux, adopter une approche adaptationniste des comportements permettrait de faire surgir des découvertes et des directions de recherches en sciences cognitives et en psychologie, qui n’auraient pas pu être décelées autrement (Tooby & Cosmides 2016, Buss 2019, Pietraszewski & Wertz 2011).

Ainsi, les psychologues évolutionnistes cherchent à appliquer un raisonnement adaptationniste dès qu’iels considèrent que le comportement observé remplit une fonction ou, plus précisément, qu’il est l’expression contemporaine d’un trait comportemental qui avait une fonction dans l’environnement où il a été sélectionné (Tooby 1988). Chaque trait comportemental aurait été sélectionné dans un environnement donné sur une période donnée, ce que les psychologues évolutionnistes appellent “environnement d’adaptativité évolutionnaire” (environment of evolutionary adaptedness, ou EEA) dudit trait comportemental (Tooby & Cosmides 1992, Hagen 2016). En psychologie évolutionniste, on considère que la grande majorité de la sélection naturelle dans l’espèce humaine s’est faite sur le continent Africain durant le Pléistocène, la première époque géologique du Quaternaire s’étalant de -2,58 millions d’années à -11700 ans.

Pour évaluer la potentielle fonction passée d’un trait comportemental observé aujourd’hui, la boîte à outils du parfait adaptationniste contient deux méthodes qui sont fréquemment utilisées en évopsy : la rétro-ingénierie (reverse engineering) et l’heuristique prospective (forward looking heuristics) (Hagen 2016) encore appelée raisonnement adaptatif (adaptative thinking). La rétro-ingénierie consiste à partir d’un trait comportemental actuel dont on considère qu’il avait au Pléistocène une fonction bien définie mais encore inconnue, et de poser les questions qu’un ingénieur se serait posées, si on lui avait donné un objet (ici le trait comportemental contemporain) et qu’on lui avait demandé de comprendre la fonction que cet objet remplit : donc ici quelle fonction un trait comportemental donné remplirait s’il était plongé dans son environnement d’adaptativité évolutionnaire, ou EEA. En psychologie évolutionniste la rétro-ingénierie permet de reconstituer le problème adaptatif que devait résoudre un trait comportemental donné. Cela se fait en rassemblant des éléments physiologiques, anthropologiques, phylo-génétiques, etc. permettant de mieux cibler quel type de problème adaptatif ce trait comportemental pouvait résoudre : cela détermine la fonction adaptative dont on pense qu’il avait dans son environnement d’adaptativité évolutionnaire (Pietraszewski & Wertz 2011).

Les psychologues évolutionnistes appellent le processus de partir d’un trait comportemental pour reconstruire le problème qu’il pouvait résoudre et en déduire les contraintes auxquelles il pouvait être soumis — et ainsi de justifier se son éventuel caractère adaptatif— une evolutionary functional analysis ou task analysis (Confer et al. 2010, Buss 2019). Ainsi, du point de vue de la psychologie évolutionniste, la sélection naturelle et l’ingénierie humaine sont toutes deux des procédures qui optimisent la conception, ce qui justifie de faire de la rétro-ingénierie cognitive (Poirier et al. 2005). La deuxième méthode — inverse de la précédente — consiste à chercher, à partir de la connaissance supposée des conditions de vie de nos ancêtres, quels pourraient être les problèmes auxquels iels faisaient face, et d’en déduire la possibilité de l’évolution de traits comportementaux en réponse à ces problèmes (Hagen 2016). Chacune des deux méthodes est considérée comme ayant un objectif différent : l’objectif principal de l’heuristique prospective est d’aider les psychologues évolutionnistes à identifier et comprendre les traits psychologiques humains à partir d’une perspective évolutionnaire, tandis que la rétro-ingénierie vise principalement à comprendre les origines sélectives de ces traits (Griffiths 1996). En pratique, les deux méthodes sont souvent confondues puisqu’aux yeux des psychologues évolutionnistes elles se répondent l’une l’autre et se complètent (Hagen 2016, Matsumoto 2021, Machery à paraître).

Figure extraite de l’introduction du livre “The Adapted Mind” (Barkow et al. 1992, p. 10). Un cas d’école de ce genre d’analyse concerne les stratégies différentielles d’accouplement dans l’espèce humaine : par exemple les problèmes adaptatifs auxquels auraient été confrontés les hommes dans le Pléistocène concerneraient principalement l’incertitude de la paternité, ce qui aurait entrainé des comportements de “chaperonnage”, tandis que les problèmes évolutifs auxquels auraient été confrontées les femmes concerneraient plutôt l’incertitude de l’assistance parentale accordée par leur partenaire, ce qui aurait entraîné des comportements plus sélectifs dans leur choix de partenaire (Buss & Schmitt 1993). Malheureusement ces hypothèses ne peuvent être que difficilement corroborées étant donné le manque d’informations historiques sur le passé.

Quelle que soit la méthode utilisée, une fois le problème adaptatif identifié, et la fonction du trait comportemental déterminée, les psychologues évolutionnistes en déduisent des hypothèses, qui induisent des prédictions qui pourront être testées. Si ces prédictions sont infirmées, l’hypothèse devrait en théorie être abandonnée, mais le manque d’informations sur l’environnement d’adaptativité évolutionnaire rend ceci quasiment rarissime. En effet, la rétro-ingénierie comme l’heuristique prospective posent des problèmes conceptuels très importants, puisqu’il est question de reconstituer l’histoire évolutive spéculative d’un trait comportemental à partir d’indices parcellaires. Cela facilite la propension commune des scientifiques à adapter leur théorie à leurs observations : si une hypothèse est infirmée les scientifiques préfèreront la réviser de manière minimale (Quine 1951). Autrement dit, si les conséquences déduites de l’hypothétique fonction attribuée à un trait comportemental se trouvent entrer en contradiction avec une observation, une expérience de laboratoire, ou une analyse statistique, les psychologues évolutionnistes modifieront légèrement les conséquences déduites de cette fonction ou au pire cette fonction même, plutôt que de remettre en cause le fait que le trait lui même est une adaptation (Buss 2019).

Au délà du fait que la notion même de “problème adaptatif” ne fait pas consensus (Sterelny & Griffiths 1999, Lloyd & Feldman 2002, Atkinson & Wheeler 2004), les deux méthodes ci dessus sont largement critiquées par plusieurs philosophes de la biologie, d’une part parce qu’elles ne laissent pas de place à d’autres types de processus évolutifs (Richardson 2007, Forber 2009, Orzack & Forber 2017), et d’autre part parce qu’elles ne prennent pas en compte l’absence criante d’informations concernant les conditions de vie de nos ancêtres dans leur environnement au Pléistocène. Cette absence d’informations fiables induit une sous-détermination de l’explication théorique par les données empiriques : il ne devrait donc pas être possible de conclure aussi facilement sur l’histoire évolutive d’un trait comme les psychologues évolutionnistes le font (Richardson 2007, Forber 2009). Cette sous-détermination conduit le dialogue entre rétro-ingénierie et heuristique prospective à ne fournir qu’une explication circulaire consistant à projeter dans le présent des hypothèses portant sur un supposé environnement d’adaptativité évolutionnaire, hypothèses elles-mêmes obtenues en projetant dans le passé ce qui est observé actuellement (Mastumoto 2021). C’est donc la porte ouverte à des explications scientifiques prenant la forme de fables plutôt que des déductions logiques empiriquement établies.

Absence de preuves et “just-so-stories”

Ainsi, l’approche adaptationniste, voyant une adaptation dans n’importe quel trait dès que l’occasion se présente et cherchant à en retracer l’histoire évolutive, se révèle très risquée si on n’a pas de preuve explicite que le trait étudié est bel et bien une adaptation, et c’est certainement le cas si on a peu d’informations sur l’environnement dans lequel ont vécu nos ancêtres. En effet reconstruire l’histoire évolutive d’un trait peut dans ce dernier cas se rapprocher d’un raisonnement panglossien, i.e. un processus argumentatif erroné et trompeur consistant à raisonner à rebours vers un scénario préconçu ou vers la position que l’on souhaite prouver. Les scénarios évolutionnistes que l’on construit dans ce cas peuvent alors être considérés comme des just-so-stories, ou “histoires ad hoc” en français : de jolies histoires où tout s’enchaine bien pour arriver à la conclusion souhaitée. Ce nom est une référence à une série de contes pour enfants de Rudyard Kipling qui expliquent (de manière imaginaire) comment les animaux ont hérité de leur traits si caractéristiques (les zébrures du zèbre, la bosse du dromadaire, etc.).

Avant la psychologie évolutionniste, la sociobiologie avait déjà fait parler d’elle à ce sujet, et on accusait les chercheur·ses de cette discipline de voir des justifications évolutionnistes partout. Ce point de vue avait été brillamment critiqué par plusieurs biologistes, dont les plus connus sont Stephen Jay Gould et Richard Lewontin, qui ont démontré que le programme adaptationniste en biologie avait le défaut de faire passer pour des adaptations certains traits qui en fait n’en sont pas. Dans leur article fondateur de 1979 (Gould & Lewontin 1979), les deux biologistes utilisent la métaphore des pendentifs de la basilique Saint-Marc à Venise (les maçonneries entre une coupole et les arcs qui la soutiennent) pour montrer que le fait que ces pendentifs soient peints aujourd’hui ne veut certainement pas dire qu’ils ont été conçus dans le but de recevoir de la peinture. L’utilité première de ces pendentifs était de soutenir la coupole de la basilique, puis ils ont été co-optés pour des raisons ornementales. Ce que veulent dire Gould et Lewontin, c’est que ce qui semble avoir une fonction évidente qui saute aux yeux (le pendentif aurait à première vue une fonction esthétique) n’est en réalité pas forcément une adaptation en regard de cette fonction (le pendentif a une fonction architecturale à la base).

Gould et Lewontin désignent sous le nom de “trompes” (spandrel en anglais) les traits qui ne sont pas originellement des adaptations, mais des by-products d’autres traits (qui peuvent éventuellement être des adaptations), et pouvant éventuellement être co-optés pour une nouvelle fonction, quitte à être à leur tour sujets à la sélection naturelle. Par exemple, la coquille des escargots est enroulée autour d’un axe qu’on appelle columelle. L’espace vide à l’extérieur de la coquille qui se situe sur cet axe est une trompe : il résulte de contraintes géométriques d’un tube s’enroulant autour d’un axe, et n’est donc pas une adaptation (Gould 1997). Malheureusement, dans le cas des pendentifs de la basilique Saint-Marc à Venise, ou plus généralement dans la plupart des bâtiments où des pendentifs sont utilisés, ils ont une fonction de soutien de la coupole les surplombant. Le choix du mot “trompe” (ou pendentif, spandrel, etc.) est donc légèrement malheureux puisque ces éléments architecturaux ont une fonction là où les trompes de Gould et Lewontin ne sont pas sensées en avoir, étant des by-products.

Plus tard, en 1982, Gould et Elisabeth Vrba complètent cette notion en définissant celle d’exaptation : c’est un trait phénotypique dont la fonction actuelle dans un environnement donné résulte soit de la modification d’une adaptation elle-même sélectionnée précédemment pour une autre raison, soit de l’arrimage de cette fonction à un trait existant préalablement mais ne résultant pas forcément d’un processus de sélection naturelle (et qui est dans ce cas une trompe) (Gould & Vrba 1982). Les plumes des théropodes sont un exemple du premier cas puisqu’originellement elles ont été sélectionnées pour la thermorégulation du corps ou pour la parade lors des périodes de reproduction, puis elles ont ensuite été co-optées pour l’avantage évolutif que produisait le vol. Notons que dans cet exemple, la deuxième fonction a elle même aussi subi une évolution par sélection naturelle, mais ceci n’est a priori pas systématique. Un exemple du deuxième type d’exaptation est le suivant : chez certaines espèces d’escargots, l’espace vide situé sur l’axe de rotation de la coquille (qui est comme on l’a vu plus haut une trompe) peut servir de chambre d’incubation des oeufs. Il existe aussi des exemples beaucoup plus complexes, comme le fait qu’une partie de la complexité morphologique pourrait être un by-product de l’interaction entre la sélection négative et des contraintes biochimiques au niveau du génome, co-opté ensuite pour des usages divers (Freeling & Thomas 2006). Ainsi, la tendance à voir des adaptations dès que cela est possible, fait complètement disparaître la possibilité que le trait que l’on observe n’est en fait qu’une exaptation.

Tableau extrait de (Gould & Vrba 1982, p. 5). La notion de “trompe” introduite par Gould et Lewontin correspondrait à la troisième ligne du tableau (Gould 1991). En 1982, Gould and Vrba généralisèrent cette notion pour inclure les anciennes adaptations ensuite cooptées pour une nouvelle fonction (deuxième ligne du tableau). Petite anecdote historique : alors que le mot anglais “pendentive” est la traduction rigoureuse de la notion architecturale de pendentif, Gould et Lewontin (1979) utilisent le mot “spandrel”, qu’on traduit en français par “écoinçon” : ce sont en quelque sorte des pendentifs en deux dimensions. Pire encore : dans le contexte de la biologie théorique, le mot anglais spandrel a été traduit par “trompe” en français, qui est encore une autre notion architecturale légèrement différente de celle du pendentif, traduite par “squinch” en anglais (voir aussi Gould 1997).

La biologie de l’évolution est la branche la plus historique de la biologie, et de ce fait est confrontée aux mêmes types de problèmes que les disciplines historiques comme l’archéologie ou la paléontologie : lorsqu’on manque d’informations fiables à propos de l’époque que l’on souhaite étudier on ne peut faire que des inférences (Futuyma & Kirkpatrick 2017). Cela conduit parfois les scientifiques adaptationnistes à raconter des just-so-stories, dès lors que les informations que l’on a de l’environnement passé sont faibles. En effet, justifier de la sélection d’un trait exige d’établir un récit dont on connait la fin : on doit retomber sur l’adaptation. Cet aspect scientifiquement fragile est caractéristique des explications ex post facto, c’est à dire des explications qui sont construites a posteriori. Le problème de ce type d’explications est qu’elles sont toujours en accord avec les observations, puisque justement elles ont été choisies pour l’être. Et justement pour les biologistes non adaptationnistes, la notion de trompe (ou d’exaptation) permet de ne pas tomber dans le piège de se poser la question du « pourquoi » — qui n’est pas très scientifique — mais plutôt de se poser celle du « comment ».

Si on ne connaît pas l’environnement dans lequel un trait a évolué, on ne peut pas non plus dire beaucoup de choses quant à son caractère adaptatif ou non. Autrement dit, nous ne pouvons pas conclure que la sélection naturelle a joué un rôle important dans l’évolution de certains traits simplement parce que nous avons en tête une hypothèse adaptative plausible. En effet, trouver des preuves appropriées pour une hypothèse adaptative (ou non adaptative) est difficile parce que nous manquons d’un bon accès épistémique à l’histoire évolutive et aux environnements d’adaptativité évolutionnaire. Or cet accès incomplet est une prémisse dans la critique de Gould et Lewontin (Orzack & Forber 2017). Là où la biologie de l’évolution peut prétendre à reconstruire une histoire évolutive à partir de techniques éprouvées et fiables du fait de la matérialité des traits qu’elle étudie, la psychologie évolutionniste n’a pas forcément la même possibilité étant donné que les comportements ne laissent pas de trace matérielle. Or les données fossiles sont parfois cruciales pour reconstituer la niche écologique dans laquelle l’animal auquel on s’intéresse vivait, ainsi que pour déterminer quelles pouvaient être les pressions de sélections auxquelles les individus de son espèce étaient soumis : par exemple, la forme et la robustesse d’un bec de fossile d’oiseau donne des indices sur son utilisation et donc sur l’environnement et le régime alimentaire de cet oiseau. En l’absence de connaissances détaillées sur à quoi ressemble ou ressemblait réellement l’esprit, spéculer sur les problèmes adaptatifs auxquels nos ancêtres étaient confrontés revient à spéculer sur la niche écologique et les habitudes alimentaires d’un fossile d’oiseau dont il ne resterait qu’une patte (Woodward & Cowie 2004). Étant basée sur des processus cognitifs qui ne laissent pas de trace matérielle, la psychologie évolutionniste doit donc reposer sur des indices beaucoup plus fragiles et malléables que la biologie de l’évolution, et donc est beaucoup plus susceptibles à tomber dans un raisonnement panglossien.

Le problème de ne pas pouvoir déterminer si un trait est une adaptation à cause du manque d’informations historiques le concernant rejoint une question largement débattue en philosophie des sciences : celle de la sous-détermination de la théorie par l’expérience et l’observation (Duhem 1906, Quine 1951). En psychologie évolutionniste, cette sous-détermination se manifeste donc de manière particulièrement flagrante par le fait qu’il n’y a pas assez d’éléments empiriques pour 1) convenir qu’un trait est une adaptation (comme nous l’avons vu avec l’argument des trompes/pendentifs), et 2) connaître l’environnement dans lequel nos ancêtres ont évolué au point de pouvoir en déduire l’histoire évolutive des traits. L’indétermination théorique dûe à l’absence de connaissances sur l’environnement passé induit que différents récits évolutifs ne peuvent être départagés. C’est ainsi qu’encore aujourd’hui il existe une dizaine d’explications évolutives différentes prétendant expliquer la bipédie humaine (Smith 2016). Pire encore, c’est un point de vue adaptationniste d’imaginer qu’il n’y aurait qu’une seule et unique explication possible : l’évolution n’est pas dirigée selon une seule direction de sélection. La notion de trompe en biologie n’est d’ailleurs qu’une façon parmi d’autres (dérive génétique, auto-stop génétique, etc.) de relativiser la portée du programme adaptationniste. 

Il parait donc assez présomptueux de décider unilatéralement, sans étude préalable des hypothèses concurrentes, qu’un trait comportemental est une adaptation issue de la sélection naturelle. Démontrer qu’un trait est une adaptation requiert de démontrer que les rares informations sur le passé obtenues par des moyens détournés sont suffisantes pour sélectionner cette justification parmi d’autres. Ces critiques ont largement touché la communauté des biologistes de l’évolution, auxquels s’adressaient originellement Gould et Lewontin, puisqu’aujourd’hui les standards de preuve ont été largement revus à la hausse avec les avancées des connaissances en génétique, ce qui fait que l’on voit beaucoup moins d’arguments naïvement adaptationnistes dans les journaux de biologie évolutive et de génétique des populations (Nielsen 2009, Koonin 2016, Jensen et al. 2018). Malheureusement, on trouve encore beaucoup de telles “just-so-stories” dans les disciplines évolutionnistes qui étudient les comportements humains, du fait notamment de leur plus faible standard de preuve (Lloyd 1999, Lloyd & Feldman 2002).

Objections méthodologiques et théoriques 

En se réclamant de la biologie évolutive, les psychologues évolutionnistes font intervenir des types de données et de méthodes qui ressemblent à celles habituellement utilisées dans certaines branches de la biologie de l’évolution. Comme l’étude des adaptations est une recherche historique avec les problèmes que cela pose — notamment l’absence d’accès direct à des données fiables sur le passé de notre espèce, les psychologues évolutionnistes se basent sur l’idée qu’une hypothèse évolutionniste est considérée comme valide si elle est soutenue par des données ou des observations issues d’études trans-culturelles ou trans-espèces, (phylo)-génétiques, physiologiques ou encore paléontologiques et anthropologiques (Schmitt & Pilcher 2004). Le niveau de preuve se ramène donc à une collection hétéroclite d’éléments formant ce qui semble être un faisceau d’indices, suggérant qu’un trait comportemental identifié est une adaptation pour sa fonction supposée. Cette accumulation d’éléments hétéroclites est sensée compenser le fait que nous manquons cruellement d’information sur notre passé pour déterminer si un trait comportemental est une adaptation. Cependant de par le fait même qu’il est difficile de caractériser précisément ce qu’est un comportement et le fait que les comportements même ne laissent pas de trace matérielle, le manque de données historiques ou biologiques de bonne qualité qui puissent démontrer qu’un trait est une adaptation reste beaucoup plus criant en psychologie évolutionniste qu’en biologie de l’évolution, laissant ainsi d’autant plus courir le risque de succomber aux sirènes de l’adaptationnisme (Smith 2016, CNQT 2019b).

Diagramme présentant les différentes manières d’obtenir des indices sur l’éventuel côté adaptatif d’un trait comportemental en psychologie évolutionniste (Schmitt & Pilcher 2004, p. 645).

En biologie de l’évolution les traits étudiés sont physiologiques et morphologiques plutôt que comportementaux, et cette matérialité plus prégnante des traits étudiés permet justement de mettre en place des techniques d’étude beaucoup plus qualitatives et précises. En particulier, aujourd’hui la règle d’or en biologie de l’évolution pour déterminer si un trait est une adaptation c’est — tant que faire se peut — d’en retracer l’histoire par le génome. Cette approche est permise par des avancées théoriques et technologiques mises en œuvre en biologie, et qui ont atteint un niveau de preuve convaincant (Nielsen 2005, Bird 2020). Cela a poussé les biologistes de l’évolution et les spécialistes de la génomique à considérer qu’on ne peut pas parler d’évolution sans prendre en compte les processus non-adaptatifs (Nielsen 2009, Koonin 2016, Jensen et al. 2018, CNQT 2019a, Bird 2020). On ne peut en effet pas qualifier un trait d’adaptation sous le seul prétexte qu’il semble avoir une fonction particulièrement bien définie. En biologie, ce sont souvent des études génomiques longues et compliquées qui permettent — quand cela est possible — de trancher.

Une critique souvent faite par les biologistes à la psychologie évolutionniste repose justement sur le fait que celle-ci est restée coupée des évolutions majeures faites en biologie de l’évolution ces trente dernières années (Lloyd & Feldman 2002, Bolhuis et al. 2011), ce qui est même admis par certain·es psychologues évolutionnistes qui ont mesuré l’ampleur du gouffre qui les sépare des biologistes (Miller 2011). Et du fait que son niveau de preuve est sensiblement plus bas que celui de la biologie — notamment en ce qui concerne l’absence de données génétiques et phylogénétiques — la psychologie évolutionniste n’a pas accès à des données fiables concernant l’environnement dans lequel évoluaient nos ancêtres et les problèmes adaptatifs auxquels ils devaient être confrontés. D’autre part les fonctions cognitives ne laissent pas de traces fossilisées, et les capacités cognitives des primates — nos plus proches parents —ne sont pas assez homologues aux nôtres pour permettre d’émettre des inférences sur le fonctionnement ancestral de notre esprit (Lewontin 1990). Les psychologues évolutionnistes doivent donc souvent se contenter de faire des hypothèses sur les différents environnements d’adaptativité évolutionnaire, au point qu’il est quasiment impossible de connaître avec certitude les contraintes environnementales qui pesaient sur nos ancêtres et qui auraient pu induire une pression de sélection sur tel ou tel trait comportemental (Woodward & Cowie 2004). Cela est la porte ouverte à une approche adaptationniste qui se présenterait comme plus naturelle ou du moins plus simple d’accès, d’autant plus que les psychologues évolutionnistes n’ont que peu de moyens méthodologiques pour étudier des modèles d’évolution alternative qui seraient plus neutres, comme cela se fait en biologie (CNQT 2019b, Bird 2020). Ainsi, la psychologie évolutionniste — bien que se revendiquant de la biologie évolutive — ne satisfait pas aux critères de scientificité, théoriques comme méthodologiques, de cette dernière.

Une autre source de contentieux avec les biologistes vient du fait que les psychologues évolutionnistes considèrent comme établi que la vision de la théorie de l’évolution qu’iels utilisent dans leur discipline — et notamment la notion de valeur sélective inclusive — est celle qui est la plus reconnue et utilisée par le reste des biologistes (Lloyd 1999, Caporael & Brewer 2000, Lloyd & Feldman 2002). Or la théorie de l’évolution, telle que vue par ces dernier·es n’est certainement pas monolithique comme les psychologues évolutionnistes se complaisent à le répéter. C’est d’autant plus vrai que les biologistes de l’évolution ont depuis les trente dernières années développé des outils et des théories autrement plus évolués que la théorie de la valeur sélective inclusive chère aux psychologues évolutionnistes et qui date des années 1960 (Koonin 2016, Jensen et al. 2018). En regard de la théorie de l’évolution par sélection naturelle telle que vue et appliquée par les biologistes, la vision génocentrée faisant intervenir la valeur sélective inclusive des psychologues évolutionnistes n’en représente qu’une partie absolument pas représentative. Des psychologues évolutionnistes semblent même — avec un certain retard et une certaine surprise — découvrir que leur approche de la théorie de l’évolution est en porte-à-faux avec les standards de la biologie (Miller 2011). De même, leur vision de la sélection sexuelle reste basée sur des hypothèses qui sont aujourd’hui largement remises en question (Tang-Martínez 2016, Hoquet 2020). Aux yeux des biologistes, la psychologie évolutionniste promeut donc une approche surannée et faussée de ce qu’est une adaptation et de ce qu’est l’évolution par sélection naturelle.

En révélant au grand jour ce type d’aporie dans le raisonnement adaptationniste, les biologistes et les philosophes de la biologie cherchent à montrer que le programme adaptationniste peut mener à faire de la science artefactuelle si on n’a pas de preuve que le trait que l’on observe est une adaptation, ou si l’on a pas assez d’information sur l’environnement passé. Choisir de considérer qu’un trait portant une fonction prétendument identifiable est nécessairement une adaptation sélectionnée à l’issue d’une longue histoire évolutive, c’est faire le choix d’un adaptationnisme qui aura tendance à étouffer les autres explications éventuellement plus parcimonieuses, et tout aussi bien en accord avec les données empiriques et historiques. Même un biologiste adaptationniste comme George Williams rappelle qu’il est préférable de s’assurer qu’il n’y a pas d’autres explications avant de déclarer que le trait étudié est une adaptation (Williams 1966). Du fait qu’il évacue implicitement toutes ces hypothèses alternatives, l’adaptationnisme adopté par les psychologues évolutionnistes peut être considéré comme un adaptationnisme fort au point d’en être caricatural, et il est hautement improbable que les traits psychologiques humains puissent être rigoureusement inférés à partir d’une telle forme de raisonnement (Rellihan 2012).

Au vu du manque d’informations empiriques et historiques que l’on a sur les traits comportementaux, une démarche scientifique rigoureuse demanderait d’étudier toutes les hypothèses candidates (et parmi elles le fait que le trait en question soit une adaptation) et leur interconnexions. En effet les questions relevant de l’évolution d’un caractère sont bien souvent si compliquées qu’il vaut mieux envisager l’articulation de plusieurs phénomènes évolutifs qu’une seule et unique cause à l’origine d’un trait (Bird 2020). Et dans le pire des cas où on sacrifie cette approche multi-factorielle, la comparaison de plusieurs hypothèses est scientifiquement bénéfique puisque le simple fait d’évaluer l’ensemble des hypothèses rivales à l’explication adaptationniste renforce de fait la crédence en l’hypothèse qui semblera éventuellement la plus pertinente, puisqu’elle aura été confrontée à toutes les autres (Orzack & Forber 2017). La psychologie évolutionniste, soit en refusant de suivre cette confrontation–sous prétexte qu’un trait dont la fonction apparait comme évidente serait nécessairement une adaptation, soit en ne pouvant tout simplement pas tester d’autres hypothèses qu’adaptationnistes du fait du manque criant de données génétiques et fossiles solides, produit des hypothèses nécessairement fragiles et se met en porte-à-faux vis à vis de la biologie de l’évolution (LLoyd 1999, Forber 2009, CNQT 2019b).

En tant qu’ultime critique, Gould, Lewontin et plusieurs biologistes avec eux considèrent que la vision selon laquelle le corps et l’esprit humain est subdivisible en sous-parties ayant chacune une fonction, et dont l’histoire évolutive est seulement contrainte par leurs liens entre elles et par un environnement extérieur que l’on connaîtrait bien, est réducteur et trompeur. Ils militent pour une vision intégrée du corps humain qui fait qu’un organe ne peut pas être “extrait” du corps humain pour en étudier l’histoire évolutive : un organe, même avec une fonction bien identifiable, n’a pas forcément été sélectionné ex nihilo parce que cette fonction procurait un avantage évolutif donné. L’histoire évolutive de la lignée humaine ne peut pas être divisée en autant d’histoires évolutives qu’il y a d’organes, de modules et de fonctions dans le corps humain (Gould & Lewontin 1979). Incidemment donc, l’articulation entre adaptationnisme et modularité massive de l’esprit, chère à la psychologie évolutionniste, se trouve être mise à mal dans ses fondements théoriques mêmes.

C’est ainsi que Gould présente l’impasse dans laquelle est entré le raisonnement adaptationniste en sociobiologie (Gould 1991, pp. 50–51) : l’esprit est scindé en modules ayant chacun sa fonction propre, présentant chacune un supposé avantage évolutif, de façon à dire ensuite que le comportement sous-jacent a été sélectionné pour cette fonction. Le raisonnement s’applique bien entendu à la psychologie évolutionniste.

En réponse à ces critiques très puissantes, les psychologues évolutionnistes se défendent maladroitement (Hagen 2016), réduisent les exaptations à des successions d’adaptations, ce qu’elle ne sont pas (Buss et al. 1998), ou pire : retournent la plaidoirie de Gould et Lewontin de tester toutes les alternatives avant de conclure à une adaptation, en rappelant que tester les hypothèses candidates induit nécessairement de tester l’hypothèse adaptationniste, et qu’il est préférable de la tester en premier par souci méthodologique (Andrews et al. 2002).

En conclusion de cette partie, nous avons montré que l’adaptationnisme fait partie de l’ADN de la psychologie évolutionniste. Or cette approche est tellement défectueuse que les biologistes eux mêmes — en tant que premiers et premières concernées — ont adopté depuis les trente dernières années des positions plus mesurées et multi-factorielles, et ont développé des standards de preuve beaucoup plus robustes permettant d’éviter de tomber dans le piège des “just-so-stories”. Les psychologues évolutionnistes, bien que se revendiquant de la biologie, ne se donnent pas les moyens de respecter ce niveau de rigueur scientifique, et se placent donc volontairement en porte-à-faux vis à vis des standards de la biologie. Leur prétention à se dire scientifiquement proche de celle-ci — du fait qu’ils utiliseraient la théorie de l’évolution par sélection naturelle — ne rencontre pas l’assentiment des biologistes et des philosophes de la biologie.

Ce positionnement rejoint la conclusion de la partie précédente, lorsque nous avions observé que les psychologues évolutionnistes préféraient maintenir un attachement relatif à l’hypothèse de la modularité massive plutôt que de prendre en compte les objections sérieuses issues des sciences cognitives. Il est éloquent que cette défiance se renouvelle ici, face aux objections de la biologie de l’évolution. Comme si, encore une fois, la psychologie évolutionniste préférait ne pas prendre en compte les critiques importantes qui lui étaient faites, tout en se targuant d’être un exemple de scientificité dans le champ de la psychologie et plus largement des sciences humaines. Or elle ne pourra jamais gagner l’estime des chercheur·ses en sciences cognitives ou en biologie de l’évolution (sans même parler des chercheur·ses en sciences sociales) si elle s’obstine à ne pas prendre en compte le corpus de résultats des trente dernières années des disciplines scientifiques qu’elle prétend unifier. Mais, si elle prenait en compte les objections qu’on lui oppose et qu’elle modifiait ses fondements théoriques en conséquent, elle en serait tellement bouleversée que cela suscite certainement des résistances de la part des psychologues évolutionnistes. La défiance de celleux-ci envers le respect des normes du fonctionnement du champ scientifique (par exemple prendre en compte les objections sérieuses des sciences dont on se réclame) induit une méfiance généralisée de celui-ci envers leur discipline. En contrepartie, iels tentent de se donner une légimité scientifique en invoquant des notions de philosophie des sciences qui prétendument charactériseraient la psychologie évolutionniste. Malheureusement cet appel à la scientificité pourra certainement être qualifié d’artificiel étant donné le décalage entre les notions invoquées et la réalité du fonctionnement de la discipline.

Un certain vernis de scientificité

Dans cette dernière partie nous comptons aborder les tactiques discursives mobilisées par les psychologues évolutionnistes pour justifier de la scientificité de leur discipline. Nous avons vu dans les deux parties précédentes que le cognitivisme et l’évolutionnisme sont deux paradigmes fondamentaux de la psychologie évolutionniste. Un paradigme est un ensemble de schémas de pensée (incluant des théories, des méthodes et des normes) adoptés par les scientifiques d’un domaine donné, et structurant la recherche dans ce domaine. Les théories, méthodes et normes auxquelles adhèrent ces scientifiques les guident dans les questions qu’il est envisageable de poser et quel type de réponse est attendu (quitte à modifier ou à compléter le paradigme). Le mot paradigme est ambigu (notamment chez l’historien Thomas Kuhn) et donc logiquement critiqué pour cette ambiguïté, c’est pourquoi Kuhn a préféré utiliser le mot matrice disciplinaire pour parler de ces schémas de pensée structurant de la sorte une discipline scientifique (Kuhn 1970). En toute logique, pour être rigoureux, nous devrions utiliser cette dernière expression, plus moderne, plus fine et précise, mais nous avons fait le choix d’utiliser le mot paradigme par facilité langagière.

Face aux critiques scientifiques qu’elle refuse d’adresser, la psychologie évolutionniste a une stratégie d’évitement en cherchant à s’acheter une certaine respectabilité scientifique par l’entremise d’arguments issus de philosophie des sciences. Malheureusement, elle fait pour cela appel à une représentation naïve et surannée de la scientificité des sciences de la nature et de la prétendue non-scientificité des sciences sociales :

Proposition 2. Les psychologues évolutionnistes défendent la scientificité de leur discipline en se basant sur les quatres mouvements suivants :

  1. en défendant une rupture théorique avec les sciences sociales,
  2. en promouvant un réductionnisme biologique de la psychologie à des paradigmes naturalistes,
  3. en revendiquant une unification théorique de la psychologie avec les sciences de la nature,
  4. en justifiant d’un falsificationnisme naïf s’appuyant sur une méthodologie empirique trans-disciplinaire.

Nous procéderons à l’étude des termes de cette proposition dans l’ordre, et nous montrerons qu’en réalité tous les éléments de cette proposition concourent à montrer que la psychologie évolutionniste cherche à se distinguer symboliquement des sciences humaines et sociales, et à se positionner comme unique science complète du comportement humain. Cette démarche relève donc d’un certain impérialisme disciplinaire dont nous avions déjà discuté dans le premier article de cette série.

Un rejet des sciences sociales systématique

Le premier point de la Proposition 2. s’appuie sur l’édification d’un gigantesque homme de paille envers les sciences sociales. Pour les fondateurices de la discipline, la volonté d’élever symboliquement la psychologie évolutionniste au statut de science biologique se justifie par l’affirmation de l’incapacité des sciences sociales à décrire le monde tel qu’il est. Les psychologues évolutionnistes considèrent que les fondements théoriques des sciences sociales sont approximatifs, erronés, et dans le pire des cas mensongers. En effet on peut noter dans plusieurs articles des fondateurices de la discipline que le rejet des sciences sociales traditionnelles est un préliminaire à la justification de l’existence de la psychologie évolutionniste (Tooby & Cosmides 1992, Buss 1995, Pinker 2002, Confer et al. 2010, Tooby & Cosmides 2016).

Ce rejet des sciences sociales est manifeste et réellement caricatural chez John Tooby et Leda Cosmides, les deux figures fondatrices de la psychologie évolutionniste, qui considèrent que les sciences sociales sont soumises à un prétendu dogme “émergentiste” : celui de la tabula rasa, ou blank slate en anglais (Tooby & Cosmides 1992, Tooby & Cosmides 2016). C’est l’idée que l’esprit serait une page blanche à la naissance, et que les comportements humains s’imprimeraient dessus à force d’observation ou d’apprentissage. Les psychologues évolutionnistes avancent que c’est le paradigme dominant en sciences sociales, et que la psychologie expérimentale a souffert de sa proximité disciplinaire avec les sciences sociales au point de produire des résultats timorés ou politiquement corrects. Les psychologues évolutionnistes désignent nommément le courant behaviouriste comme étant l’archétype de la théorie psychologique illustrant les déboires du “blank slatisme”. Iels s’opposent à celui-ci ainsi qu’à un prétendu “modèle standard des sciences sociales” qui nierait que l’esprit humain est le produit de l’évolution.

Extrait d’un article récent (Tooby & Cosmides 2016, p. 5) des fondateurices de la psychologie évolutionniste John Tooby et Leda Cosmides. Plus de vingt ans après leur premier article acrimonieux (Tooby & Cosmides 1992), iels reproduisent les mêmes attaques infondées et manifestement calomnieuses envers les sciences sociales.

Cette accusation de “blank slatisme” contre les sciences sociales est bien entendu un homme de paille, puisque personne en science sociale ne nie que le cerveau est le produit de l’évolution, et que la biologie contraint les comportements sociaux. Par exemple de nombreux théoriciens de la sociologie (et ce depuis la création de la discipline) ont cherché à articuler leurs théories avec un arrière-plan biologique (Guillo 2006). D’autre part, depuis les débuts de la psychologie anglophone, et même dans la tradition behaviouriste, la thèse de Darwin a eu une importance majeure (Turbiaux 2009). Il n’y a donc pas de “biophobie” de la part des sciences sociales, et il semblerait que ce sont plutôt les psychologues évolutionnistes qui depuis trente ans, par ignorance ou par mauvaise foi, propagent des fausses informations à ce sujet.

La démarcation symbolique avec les sciences sociales s’appuie aussi sur l’argument selon lequel la psychologie évolutionniste est la seule discipline se donnant les moyens de mettre à jour et d’étudier la supposée “nature humaine”. Cela est bien entendu très vendeur, et s’inscrit dans la droite lignée de l’idée selon lequel les sciences sociales seraient gangrénées par une idéologie “culturaliste” ou “constructiviste” qui voudrait que ce soit la société qui influence tous nos comportements, et uniquement elle. Ce discours est non seulement un homme de paille, mais aussi le simple fait de parler de dichotomie nature/culture ou inné/acquis est en soi un retour en arrière considérable. En effet, si le débat a pu avoir lieu sous plusieurs formes depuis des temps immémoriaux, il est maintenant plus ou moins consensuellement accepté qu’on ne peut pas distinguer la part d’inné de la part d’acquis (Sterelny & Griffiths 1999), et même qu’il n’y a pas de sens de poser cette question puisque ces catégories sont entremêlées et interreliées au point que l’une influence l’autre et inversement (Mamoli & Bateson 2006, Spencer et al. 2009, CNQT 2018). La vision nativiste selon laquelle on pourrait isoler la partie innée de l’humain, et donc ainsi ce qui constituerait la “nature humaine” dénote ainsi d’une vision altérée de l’état de la recherche en biologie et en sciences sociales. Il existe d’ailleurs des paradigmes concurrents à la psychologie évolutionnistes qui ne marquent pas une telle dichotomie entre nature et culture, et notamment celui qui voudrait qu’il y ait une coévolution entre gènes et culture, et qu’on nomme dual inheritance theory (Boyd & Richerson 2005).

Cette volonté de ressusciter la dichotomie nature/culture semble servir en réalité un objectif politique : celui de reléguer les sciences sociales dans le camp des sciences immatures (Turkheimer 1998). Il est donc habituel de constater un rejet constant et soutenu de la part des évopsys envers la littérature en sciences sociales : il est quasiment systématique en effet que les articles de psychologie évolutionniste ne mentionnent aucune référence aux sciences sociales dans leur bibliographie — ou si peu, et quand c’est fait c’est souvent de manière anecdotique comme référence lointaine pouvant justifier l’intérêt porté à une question donnée. La psychologie évolutionniste prend plutôt rarement au sérieux ce que les sciences sociales ont à dire sur les sujets dont elle s’empare, et ce même si ces sujets sont étudiés pour certains depuis une centaine d’années par les sciences sociales. La psychologie évolutionniste contribue non seulement à ternir la réputation des sciences sociales en propageant des mensonges à leur sujet (et ce, comme on l’a vu, même dans les articles académiques !) mais aussi à invisibiliser leurs travaux. C’est donc ce qui peut être considéré comme un travail de sape en profondeur qui est mené — éventuellement de manière tout à fait inconsciente et sincère — par les défenseurs et défenseuses de la psychologie évolutionniste.

Ainsi, le discours que tiennent les psychologues évolutionnistes vis à vis des sciences sociales sert un but bien précis, celui de jouer une démarcation symbolique entre les sciences sociales prétendument peu scientifiques, et les sciences de la nature réputées plus rigoureuses, pour se revendiquer ensuite du bon côté de la barrière. Défendre l’idée d’une telle dichotomie entre sciences démontre d’une part une certaine méconnaissance de ce que sont les sciences dans leur ensemble, et d’autre part d’une volonté politique de nuire aux sciences sociales telles qu’elles sont pratiquées aujourd’hui. Cela serait anecdotique si ces attaques étaient confinées au monde universitaire, mais elles débordent largement le champ scientifique puisqu’elles alimentent un discours conservateur, traditionnellement opposé aux sciences sociales et avide de n’importe quelle occasion de s’en prendre à celles-ci (voir le premier article de la série). En contribuant de manière insidieuse mais assumée à la délégitimation scientifique de ces dernières, les psychologues évolutionnistes démontrent que leur respect pour la démarche scientifique dans son ensemble ne dépasse pas les frontières de leur discipline.

Le réductionnisme biologique en psychologie

Les psychologues évolutionnistes accompagnent cette mise à distance des sciences sociales avec la revendication traitée dans le deuxième point de la Proposition 2. : le réductionnisme biologique des comportements humains. On appelle réductionnisme (théorique) en science le fait qu’on puisse exprimer, dériver, ou expliquer une théorie à partir d’une autre, en considèrant souvent que la seconde est plus “fondamentale” que la première. Historiquement c’est une notion qui a surtout intéressé des philosophes des sciences de la première partie du XXème siècle. Il existerait selon eux trois types de réductionnisme : par traduction (défendu par les positivistes logiques Rudolph Carnap et Otto Neurath du Cercle de Vienne), par dérivation (défendu par les positivistes logiques plus tardifs comme Thomas Nagel et Carl Gustav Hempel) et par explication (défendu par Paul Oppenheim) (Ney 2020). Celui invoqué par les psychologues évolutionnistes est le second : on parle de réductionnisme (par dérivation) lorsqu’une théorie “dérive” d’une autre, ou plus précisément que ses concepts et ses lois de la première sont obtenus à partir des concepts et des lois de la seconde, ainsi qu’à l’aide de certaines “lois-ponts” qui permettent de faire le lien.

Le réductionnisme en psychologie n’est pas nouveau puisque des philosophes de l’esprit et des scientifiques se sont déjà demandé si on pouvait réduire un état cognitif aux processus neuronaux dans le cerveau, et même encore plus loin : aux processus physico-chimiques sous-jacents (Place 1956, Smart 1959). En ce qui nous concerne, nous avons affaire à un autre type de réductionnisme puisque les psychologues évolutionnistes affirment que la science psychologique dans son ensemble, et plus largement les sciences humaines, sont ramenables à la biologie et aux sciences cognitives. Par exemple, en s’inscrivant dans le paradigme cognitiviste, iels réduisent les comportements humains à l’expression manifeste d’algorithmes cognitifs, et considèrent que le cerveau humain à un fonctionnement identique à celui d’un ordinateur. En avançant ensuite que le cerveau est massivement modulaire, et que la sélection naturelle a contribué à façonner ces modules et donc les comportements que leur fonctionnement induit, les psychologues évolutionnistes réduisent les comportement humain à un grand principe général : la théorie de l’évolution. Ce réductionnisme se manifeste dans certains textes — et pas des moindres — comme par exemple dans le manuel acclamé de David Buss, Evolutionary Psychology: The new science of the mind.

Exemple de réductionnisme en psychologie évolutionniste : des préférences sont ramenées à des justifications évolutionnistes, évacuant par là même toute prise en compte du monde social (Buss 2019, p. 234).

Le réductionnisme se veut ici être l’idée que les comportements humains seraient en fait explicables et descriptibles dans leur entièreté par des algorithmes cognitifs, sélectionnés au cours de l’évolution. Pour les psychologues évolutionnistes, la psychologie ne peut devenir une théorie complète et bien fondée qu’une fois qu’elle a intégrée les apports des sciences cognitives et de la théorie de l’évolution, autrement dit : une fois qu’elle s’est ancrée à l’hypothèse de la modularité massive et à la sélection naturelle, qu’iels considèrent comme plus “fondamentales” dans la hiérarchie symbolique des sciences. Pour les défenseurs et défenseuses de la psychologie évolutionniste, ce réductionnisme est non seulement bénéfique aux sciences du comportement, mais surtout nécessaire : en effet, prétendent-iels, puisque l’humain est un produit de l’évolution, que n’en serait-il pas de même pour nos comportements ? Les sciences sociales seraient de ce fait amenées à plus ou moins long terme à se tourner vers une science du comportement prenant en compte l’évolution par la sélection naturelle : la psychologie évolutionniste.

Le problème avec le réductionnisme en science est que ça ne marche en général pas. Le réductionnisme a été largement battu en brèche par Hilary Putnam et Jerry Fodor (Fodor 1974, Putnam 1975). Il ne suffit pas de se réclamer du réductionnisme pour que magiquement la théorie qu’on considère s’exprime comme une conséquence d’une autre, supposément plus “fondamentale”. Cela vient du fait que les éléments conceptuels et théoriques d’une science donnée contiennent souvent plus de choses que simplement une reformulation ou un enrichissement de lois et de concepts venant d’une autre science. Ainsi, bien que les psychologues évolutionnistes se réclament implicitement du réductionnisme en science, iels ne prennent pas la précaution de savoir si la psychologie ou les sciences sociales sont effectivement réductibles à la biologie et aux sciences cognitives. Leur revendication réductionniste apparaît donc plutôt comme une revendication politique au sein du champ scientifique : ils défendent l’importance de ce réductionnisme théorique car cela leur permet de se placer du côté des sciences de la nature, et d’ainsi faire valoir la “scientificité” supposément plus grande de ces sciences pour gagner en légitimité scientifique.

C’est donc une stratégie éminemment politique (au niveau du champ scientifique) de se revendiquer d’un réductionnisme biologique sans pour autant s’assurer que ce réductionnisme est applicable. Cette stratégie est ironiquement d’autant plus mise en exergue que les fondements théoriques de la psychologie évolutionniste subissent de sérieuses attaques de la part des sciences cognitives et de la biologie. Cela déborde bien entendu aussi le champ de la science puisque l’argument que la psychologie évolutionniste est plus “sérieuse” que les sciences sociales du fait qu’elle se baserait sur le paradigme évolutionniste est un argument rapidement récupéré dans le discours conservateur. Le plus dommageable certainement est le fait que ce mantra soit régulièrement répété sans précaution dans la bouche de certain·es vulgarisateurices qui font donc le jeu des anti-sciences et des conservateurices, d’autant plus lorsqu’iels prétendent expliquer la “nature humaine” grâce à la psychologie évolutionniste.

Dans cet extrait le réductionnisme biologique permet d’avancer qu’il existe une nature humaine et qu’elle est à portée de main des chercheur·ses (Tooby & Cosmides 2016, pp. 80–81).

Le rêve de l’unification théorique

Le réductionnisme va généralement de pair avec la recherche d’une certaine unification des sciences. L’unification, ou l’unité des sciences, est un sujet largement discuté en philosophie des sciences et correspond à l’idée que différentes théories scientifiques finiront forcément par pouvoir être ramenées à un socle commun de sciences considérées comme plus “fondamentales” (Oppenheim & Putnam 1958). Cette visée unificatrice n’a de fait pas manqué de se manifester aux yeux des psychologues évolutionnistes qui, dès les premiers textes appelant à une refondation de la sociobiologie en une nouvelle discipline (Tooby 1988, Tooby & Cosmides 1992), se positionnent comme faisant la synthèse entre la psychologie, les sciences cognitives et la biologie de l’évolution ou, plus précisément, entre certaines approches de chacune des deux disciplines, que nous avons distinguées dans les deux parties précédentes. La revendication de cette synthèse est réitérée régulièrement jusqu’à aujourd’hui (Tooby & Cosmides 2016, Buss 2019). Dans la bouche des psychologues évolutionnistes, cette synthèse est centrale pour justifier de l’ancrage de leur discipline dans les paradigmes de la biologie, jugés plus solides et reconnus que la psychologie.

Cette intégration de la science psychologique et des autres sciences humaines à une synthèse cognitivo-évolutionniste est centrale en psychologie évolutionniste, puisqu’elle a justifié le nom de cette discipline. La revendication de cette synthèse permet aux psychologues évolutionnistes de se situer comme l’aboutissement nécessaire et indépassable d’un long processus de maturation intellectuelle. Or cette prétention à l’intégration théorique de la psychologie dans les sciences de la nature sous la forme d’un paradigme unifié est pour le mieux artificielle puisque, comme on l’a vu, les hypothèses et les méthodes des psychologues évolutionnistes ne sont reconnues ni dans les sciences cognitives ni en biologie. La synthèse dont iels se revendiquent est donc scientifiquement douteuse, mais sa portée rhétorique reste néanmoins grande puisqu’elle sert à se parer des attributs de scientificité et de légitimité pour mieux se distinguer des sciences sociales.

Selon ses fondateurices, la psychologie évolutionniste serait l’achèvement intellectuel unifiant plusieurs traditions scientifiques éparses (Tooby & Cosmides 2016, pp. 17–18).

Nous le voyons dans ces textes, la vision qu’ont les psychologues évolutionnistes de la science est passablement caricaturale, au point qu’iels en viennent à forcer le trait pour que leur discipline ressemble en tous points à l’image d’Épinal de la science qu’iels ont en tête, et proche de celle qu’en avaient les positivistes logiques. Aux yeux des psychologues évolutionnistes, leur discipline est une science de la nature faisant la sythèse entre de grandes théories scientifiques fondamentales (théorie de l’évolution, révolution cognitiviste) pour réduire les sciences sociales à un paradigme naturaliste. Le but étant, et il est assumé par les défenseurs et défenseuses de la psychologie évolutionniste, de devenir la discipline qui tranche le vrai du faux en ce qui concerne les explications des comportements humains. L’avénement de la psychologie évolutionniste est donc irrémédiablement lié à la promotion d’un impérialisme disciplinaire, qui a pour but d’assécher et d’apauvrir les sciences sociales en les naturalisant.

Le dévoiement du falsificationnisme

Cela nous amène à considérer le quatrième point de la Proposition 2. Les psychologues évolutionnistes revendiquent très tôt la falsifiabilité de leur théories, pour notamment se prémunir des accusations selon lesquelles leur discipline n’est pas une science. La notion de falsifiabilité en philosophie des sciences a été introduite par Karl Popper (Popper 1959) qui répondait aux empiristes logiques du Cercle de Vienne, dont la conception de la confirmation statistique des hypothèses scientifiques ne lui semblait pas tenir la route. Pour Popper, une théorie ne peut jamais être confirmée car il y a un nombre infini d’observations à faire, par contre elle peut être réfutée par une seule observation. Dans ce cas, elle devrait être abandonnée à la faveur d’une théorie qui expliquerait mieux les faits observés. Une discipline est falsifiable lorsqu’elle induit par déduction logique en ensemble de prédictions, qui peuvent être non seulement testables, mais qui peuvent aussi être (éventuellement) réfutées.

Une science sera d’autant plus solide aux yeux de Popper qu’elle admettra plus de prédictions falsifiables — mais non falsifiées — et donc qu’elle sera “fragile” en quelque sorte. Une discipline infalsifiable ne peut donc pas être considérée comme une science d’après Popper. Or, certaines critiques, suivant Gould et Lewontin dans leur critique de l’adaptationnisme, accusèrent très tôt la sociobiologie et la psychologie évolutionniste de ne produire que des just-so-stories difficilement testables, et d’en changer immédiatement si jamais l’une d’entre elles était réfutée par l’observation. Ces disciplines furent donc très rapidement accusées d’être infalsifiables, et donc pseudo-scientifiques. C’est principalement pour se protéger de ces attaques que les psychologues évolutionnistes ont très tôt joué la carte de la falsifiabilité.

Les psychologues évolutionnistes essaient de justifier de la scientificité de leur discipline (Buss 2019, pp. 98–99).

La théorie de Popper a été largement remise en question par les philosophes qui l’ont suivi et est aujourd’hui complètement dépassée. En particulier, Imre Lakatos a tenté d’allier le falsificationnisme de Popper avec la vision métahistorique de Kuhn (Kuhn 1970), pour faire sens justement d’une progression historique de la science qui prennent en compte la réfutation des prédictions et le changement d’hypothèses, sans nécessairement induire une révolution scientifique (Lakatos 1970). Lakatos propose donc une version du falsificationnisme de Popper qui est adoucie : pour lui, une discipline scientifique consiste en un “noyau dur” constitué des hypothèses et principes théoriques fondamentaux et considérés comme valides et acceptés par la communauté, entouré d’une “ceinture protectrice” de théories et d’hypothèses de niveau plus élevé, à partir desquelles les scientifiques élaborent des prédictions, éventuellement testables.

Lorsqu’une prédiction ou une hypothèse est invalidée par l’expérience ou l’observation, seule cette partie du domaine théorique est considérée comme falsifiée : le reste du corpus théorique — souvent considéré comme beaucoup plus solide ou déconnecté de cette zone —  est laissé intouché, et les scientifiques procèdent à une rectification des hypothèses et théories impactées, mais sans remonter jusqu’au noyau dur dont la véracité n’est pas remise en cause. La ceinture protectrice permet donc aux scientifique de travailler sur leur science sans quotidiennement remettre en question les principes fondamentaux de leur champ dès qu’une expérience infirme une hyptohèse. Le modèle de Lakatos est descriptif, mais les psychologues évolutionnistes l’interprètent comme étant normatif : iels revendiquent que leur discipline suit ce modèle et donc qu’elle serait de ce fait une “vraie science” (Ketelaar & Ellis 2000). La psychologie évolutionniste serait ainsi constituée d’un noyau dur constitué de concepts fondamentaux (la théorie de l’évolution par sélection naturelle, notamment sa version génocentrée défendue par Williams), ceinturé par des théories de niveau moyen (les théories de Hamilton, Trivers, Maynard Smith par exemple) qui elles mêmes induisent une famille d’hypothèses évolutionnistes débouchant éventuellement sur des prédictions testables.

Figure expliquant la hiérarchie des différents niveaux théoriques en psychologie évolutionniste (Buss 2019, p. 93). Cette présentation a pour but de démontrer que la psychologie évolutionniste a la même structure théorique que n’importe quelle science de la nature. Pour reprendre le modèle de la science de Lakatos, la théorie de l’évolution par sélection naturelle est le noyau dur de la discipline, et les trois niveaux en dessous la ceinture protectrice (Ketelaar & Ellis 2000).

Or les philosophes des sciences ont critiqué cette revendication, en dénonçant d’une part le détournement original de l’idée de Lakatos à des fins purement utilitaristes, et d’autre part le fait que les psychologues évolutionnistes prennent leur vision réduite de la théorie de l’évolution comme celle qui serait partagée par l’ensemble de la communauté des biologistes (Caporael & Brewer 2000). La description faite par Lakatos des programmes scientifiques n’était pas prescriptive, et n’invitait surtout pas les cherheur·ses à chercher à modeler leur programme scientifique sur cette description. Ce n’est pas parce que vous présentez votre discipline sous les atours du modèle de Lakatos, que cela garantit que votre discipline devient soudainement une science telle qu’il la pense. Cela est d’autant plus contradictoire pour la psychologie évolutionniste qu’elle refuse de se confronter aux objections issues des noyaux durs des sciences cognitives et de la biologie. Les psychologues évolutionnistes semblent donc n’invoquer Popper ou Lakatos qu’à des fins de justification du bien-fondé de la scientificité de leur discipline.

Un autre indice en ce sens vient du fait que la philosophie des sciences a largement avancé depuis Popper et Lakatos, et qu’il est étrange de justifier de la scientificité d’une théorie en les invoquant. Au contraire, il a notamment été démontré que la pratique scientifique ne pouvait pas être réduite à de telles descriptions. Ainsi, les scientifiques au quotidien n’utilisent aucunement la notion de falsifiabilité dans leur pratique pour justifier du bien fondé de leur démarche. Cependant celle-ci garde un certain attrait pour certaines personnes — souvent hors de la recherche mais qui idéalisent la science — qui voient la falsifiabilité comme un parangon de vertu scientifique. C’est semble-t-il le cas des psychologues évolutionnistes qui revendiquent la falsifiabilité de leur discipline, car elle est pour elleux garante d’un certain vernis de scientificité de leur domaine. C’est aussi la promesse de s’extraire définitivement du monde des sciences humaines, profondément immatures scientifiquement à leurs yeux.

Au delà de cette tentative de distinction symbolique, la position des psychologues évolutionnistes est d’autant plus fragile que la prétention à la falsifiabilité de la psychologie évolutionniste se heurte aussi aux méthodes empiriques utilisées dans cette discipline. Nous l’avons vu dans la partie sur l’adaptationnisme, pour déterminer si un trait comportemental est une adaptation, les psychologues évolutionnistes peuvent se référer à plusieurs types de preuves (ou plutôt d’indices). Cette accumulation d’indices est en réalité souvent partielle et peu conclusive. Le manque de données paléo-anthropologiques, pourtant nécessaires pour reconstruire les environnements d’adaptativité évolutionnaire, est ainsi souvent pointé du doigt par les biologistes et les philosophes de la biologie. D’autre part, nous avons vu qu’en biologie, pour déterminer si un trait est une adaptation, on mobilise de plus en plus une analyse génotypique pour en reconstruire l’histoire. Les changements ayant eu lieu dans les trente dernières années dans la méthodologie en biologie de l’évolution n’ont malheureusement aucunement percolé dans le milieu de la psychologie évolutionniste. Encore une fois nous retrouvons le fait que, bien que la psychologie évolutionniste se revendique de la biologie, elle ne se donne pas les moyens d’en respecter les standards, et donc de se fait ne peut pas se réclamer du même niveau de falsifiabilité.

Enfin, le fait que la psychologie évolutionniste, étant avant tout une sous-discipline de la psychologie, et de ce fait utilisant des expériences de laboratoire pour tester ses hypothèses, hérite tout naturellement des problèmes que ce type d’expériences pose. Il y a bien entendu la sempiternelle crise de la reproductibilité, qui touche tout le champ de la psychologie expérimentale (Pashler & Wagenmakers 2012). Mais le problème qui nous intéresse peut être plus est celui de la validité externe, c’est à dire la portée — vis à vis du monde social extérieur — de la validité des conclusions obtenues en laboratoire. En effet une expérience menée dans des conditions particulières et contrôlées, n’implique pas forcément qu’elle donnerait les mêmes résultats avec les mêmes personnes dans le monde réel, ou pire, avec des personnes au profil socio-psychologique différent (Henrich et al. 2010, Simpson & Campbell 2016). Les psychologues ont bien entendu cette limitation en tête car cela atténue nécessairement la portée de leurs expériences. Il y a déjà une littérature importante sur le sujet, et la question est toujours éminemment profonde et débattue (Lynch 1999, Martel Garcia & Wantchekon 2010). Cependant, cela contribue à la fragilité méthodologique de la psychologie évolutionniste, déjà impactée par la moins bonne qualité du type de preuves invoquées, comparé aux standards observés en biologie. En regard de cette difficulté inhérente et persistante à produire des preuves solides et convaincantes, la prétention à la falsifiabilité défendue par la psychologie évolutionniste est largement battue en brèche (Richardson 2000).

Pour conclure cette partie, nous avons vu que les quatre points de la Proposition 2. reposent sur des conceptions relativement naïves des sciences et de la philosophie des sciences. Les arguments invoqués par les psychologues évolutionnistes pour défendre leur discipline se réduisent finalement à un vernis cosmétique pour lui donner une apparence de scientificité qu’elle a du mal à acquérir par ailleurs. Cela leur permet aussi à repousser au loin les sciences sociales et à établir une distinction avec elles, pour mieux positionner la psychologie évolutionniste comme étant “la” science la plus à même d’expliquer la supposée “nature humaine”. Cela se conjugue à des accusations envers les sciences sociales, ainsi qu’à l’invisibilisation de leurs résultats, alors même qu’elles ont déjà abondamment traité certains des sujets d’étude de la psychologie évolutionniste. On est donc en droit de parler d’impérialisme disciplinaire de cette dernière envers les premières.

Enfin, se pose encore une fois le problème du positionnement scientifique de la psychologie évolutionniste : nous avons vu dans les deux premières parties que celle-ci se refusait souvent à prendre en compte les objections ou bien même les résultats des sciences plus matures qu’elles. Dans la présente partie nous avons vu qu’en outre, elle refuse de se positionner sérieusement vis à vis des résultats en sciences sociales qui ont une longue histoire alors même que la psychologie évolutionniste déclare être une science du comportement humain et qu’elle étudie souvent les mêmes objets. La déontologie scientifique requiert pourtant que pour rejeter des hypothèses qui font consensus dans un certain domaine, il est nécessaire de proposer des arguments sérieux à son encontre. La psychologie évolutionniste semble avoir fait le choix inusité d’éviter la confrontation en défendant l’idée que les sciences sociales sont irrémédiablement défectueuses et donc qu’il est inutile de les prendre en compte. Il est donc important de souligner que cette discipline privilégie encore une fois le choix de l’isolement disciplinaire, plutôt que celui de interdisciplinarité dont elle se revendique pourtant.

Conclusion

Il est temps d’apporter une conclusion à ce long article. Qu’avons nous vu ? Nous avons vu que la psychologie évolutionniste est apparue à la fin des années 1980 en se présentant comme la science qui unifierait enfin les sciences humaines à la biologie. Inscrite dans le sillage de la sociobiologie, elle manifeste une volonté de mettre de la distance avec la réputation sulfureuse de cette dernière, en choisissant notamment de revendiquer un ancrage dans les sciences cognitives. Cela permet aux psychologues évolutionnistes de dresser une analogie entre organes du corps humain et modules cognitifs, et ainsi de justifier que les comportements humains seraient des adaptations qui auraient été sélectionnées au Pléistocène. Cet argument repose sur deux éléments principaux : la modularité massive de l’esprit et l’adaptationnisme. Or, nous l’avons vu, les justifications que proposent les psychologues évolutionnistes résistent très mal à l’examen critique. Dans les deux cas, ce sont des positions minoritaires et mal considérées dans leurs champs respectifs : les sciences cognitives d’un côté, et la biologie de l’autre. Pire encore : la psychologie évolutionniste se refuse à se confronter aux objections sérieuses que lui opposent ces deux sciences, dont elle se réclame pourtant.

Il est en outre ressorti que la psychologie évolutionniste est restée coupée des évolutions théoriques qui se sont faites ces trente dernières années dans ces deux sciences, tant du côté de la compréhension du fonctionnement du cerveau que de celle des processus évolutifs. La psychologie évolutionniste est une discipline dont les fondements théoriques articulent des concepts tirés des sciences cognitives des années 1980 à une vision datée de la théorie de l’évolution. Tout comme l’éthologie classique était basée sur l’état des connaissances de l’entre deux guerres, ce qui l’amena a péricliter par la suite, la psychologie évolutionniste semble être restée figée dans le temps, au tournant des années 1990 (Griffiths 2006). Ce n’est pas la seule ressemblance entre les deux disciplines puisque l’une comme l’autre proposent des critiques évolutionnistes de la science psychologique de leur époque respective. La psychologie évolutionniste n’est en cela ni révolutionnaire, ni spécialement en rupture avec les disciplines dont elle est l’héritière.

Du fait qu’elle n’actualise pas son paradigme à mesure que les sciences dont elle se réclame évoluent, et du fait qu’elle refuse de répondre aux objections soulevées par ces mêmes sciences, la psychologie évolutionniste semble ne pas se donner les moyens théoriques et méthodologiques d’être crédible et pertinente. Ce positionnement pose question vis à vis de la déontologie scientifique : que penser d’une discipline qui se revendique à l’intersection de plusieurs sciences mais qui n’en respecte pas pour autant les fondements, ou a minima qui n’explique pas en quoi ces fondements ne lui sont pas applicables tels quels ? Ce refus de répondre à des objections pourtant très sérieuses et renseignées situe la psychologie évolutionniste en marge des sciences dont elle se réclame, pour ne pas dire en marge du champ scientifique. Cet isolement volontaire pourrait en outre contribuer à un certain enfermement sur soi, et donc à alimenter une forme de recherche qui fonctionnerait de manière majoritairement communautariste; de ce fait n’encourageant certainement pas la prise en compte de l’évolution des connaissances dans les autres sciences.

Il existe un consensus assez remarquable tant chez les biologistes (Lloyd & Feldman 2002, Bolhuis et al. 2011, CNQT 2019b, Bird 2020) que chez les philosophes de la biologie (Woodward & Cowie 2004, Poirier et al. 2005, Rice 2011, Downes 2020), ainsi que chez les chercheur·ses en sciences cognitives (Roberts 2007, Rabaglia et al. 2011, Robbins 2013, Rich et al. 2020) de même que chez certain·es anthropologues évolutionnaires (Littlefoot 2019), pour affirmer que la psychologie évolutionniste, avec son corpus théorique et sa méthodologie actuelle, est une démarche vouée à l’échec. Cela ne veut pas dire qu’il n’est pas possible d’articuler une composante évolutionnaire à l’étude de certaines caractéristiques sociales et psychologiques humaines — d’autres chercheur·ses ont déjà proposé des alternatives (Laland & Brown 2002, Boyd & Richerson 2005) — mais que la voie explorée par la psychologie évolutionniste est, d’après ces mêmes philosophes et chercheur·ses, sans issue scientifiquement valide. De même cela ne veut pas non plus dire que la sélection naturelle n’a pas contribué à façonner le cerveau humain, mais que les explications proposées par la psychologie évolutionnistes ne sont pas convaincantes ni rigoureuses, scientifiquement parlant. Pour gagner en crédibilité, la psychologie évolutionniste doit prendre au sérieux les critiques que les scientifiques lui opposent. Mais, de manière contradictoire, en se mettant à jour tant au niveau des sciences cognitives que de la biologie de l’évolution, la psychologie évolutionniste devra abandonner la plupart de ses fondements théoriques au point d’en être tellement changée que ça en deviendrait une toute autre discipline. Il semblerait en effet que la psychologie évolutionniste ne pourrait pas relever ce défi sans y perdre ce qui la définit aujourd’hui (Poirier et al. 2005).

Mais si tant de critiques pleuvent sur la psychologie évolutionnistes tant par les scientifiques que par les philosophes des sciences, sans pour autant que les psychologues évolutionnistes ne les confrontent sérieusement, comment expliquer qu’iels s’obstinent à revendiquer la scientificité de leur discipline ? Il est possible que ce comportement relève d’une stratégie de distinction scientifique — pas nécessairement consciente — de la part des psychologues évolutionnistes. Se revendiquer de la biologie mais ne pas en respecter les standards méthodologiques et théorique démontre en effet un positionnement opportuniste dans le champ scientifique, afin de s’arroger les bénéfices symboliques induits par la légitimité des sciences de la nature sans pour autant se plier à la rigueur et à la déontologie qu’elles requièrent. En se présentant comme obéissant à des critères socialement perçus comme étant garants de scientificité, et en prétendant grâce à cela révéler les fondements de la “nature humaine”, la psychologie évolutionniste démontre une volonté de se distinguer d’autres disciplines étudiant le comportement humain installées depuis bien plus longtemps et dont la valeur scientifique est déjà bien admise (psychologie sociale, anthropologie, sociologie, etc.).

Cette légitimité revendiquée permet à la psychologie évolutionniste de se présenter comme l’unique discipline capable d’expliquer adéquatement les comportements humains, et de mettre ainsi à distance les sciences sociales, accusées de succomber aux sirènes d’un supposé culturalisme politiquement correct. Cette campagne de calomnie de la part des psychologues évolutionnistes se double d’un rejet et d’une relégation, illustrés par le fait que la littérature des disciplines de sciences sociales n’est quasiment jamais prise en compte dans la recherche en psychologie évolutionniste, alors pourtant que cette dernière étudie des objets qui ont été déjà étudiés par les premières depuis des années. Et quand la littérature des sciences sociales est prise en compte par la psychologie évolutionniste, elle est essentiellement citée de manière anecdotique ou pire, elle est déformée pour lui faire dire des choses qu’elle n’a jamais soutenue. Nous relevons donc encore une fois la volonté des psychologue évolutionnistes de ne pas se confronter au corpus de résultats déjà existants, ici en sciences sociales.

Calomnier les sciences sociales a un but scientifique très précis : celui de laisser le champ libre à la psychologie évolutionniste pour dire son mot à propos de tous les sujets habituellement traités par les sciences sociales. Or les modalités d’explication de la psychologie évolutionniste n’ont rien à voir avec celles de la sociologie, ou de l’anthropologie : ce sont des mondes complètement différents. Donc le fait que la psychologie évolutionniste cherche à tout prix à braconner sur les terres des sciences sociales sans pour autant leur accorder le respect scientifique qui leur revient est manifestement une forme d’impérialisme disciplinaire : la “vraie science du comportement humain” venant faire la leçon aux sciences sociales prétendument idéologiques. Cette vision hégémonique que promeuvent les psychologues évolutionnistes se manifeste non seulement dans leur pratique scientifique (articles, cours, etc.) mais elle déborde aussi dans la société, puisqu’elle est largement récupérée dans certains discours conservateurs visant à naturaliser le social (voir le premier article de cette série). Le but du présent article était précisément de resituer la psychologie évolutionniste au sein du champ scientifique, afin de donner des outils d’auto-défense intellectuelle aux personne confrontées à ce genre de discours et susceptibles de vouloir s’en prémunir.

Nous ne pouvions finalement pas nous quitter sans donner une dernière fois la parole à John Tooby et Leda Cosmides, dans un article intitulé “Le deuxième principe de la Thermodynamique est le premier principe de la Psychologie” (Tooby et al. 2003). Il faut bien admettre que dans l’extrait suivant, il est difficile de différencier les psychologues évolutionnistes des créationnistes, si ce n’est que les premiers invoquent la sélection naturelle là où les seconds invoquent Dieu.

(Tooby et al. 2003, p. 862)

Un grand merci à tous·tes les relecteurices qui ont permis d’éclaircir et de préciser certains passages : Ce N’est Qu’une Théorie, @computa_shrink, @crapaud_rouge, @annoyinganoia, Emys Erres, Ulysse Rogue, Phil, @tnzn00, NCJ, Julien S., ainsi que d’autres relecteurices qui ont voulu rester anonymes.

Article publié le 03 août 2020. Kumokun est aussi sur Twitter !

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